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En voyage à travers la Mauritanie avec un jeune homme qui fuit ses tourments : un beau roman lyrique et poétique.
Avec Le Silence des horizons (Elyzad), l’écrivain mauritanien Beyrouk nous emmène dans le désert et dans ses vieilles cités endormies où seuls les touristes semblent vouloir encore aller. On y suit les pas d’une homme obsédé par un terrible secret. Un beau roman que vous ne lâcherez pas.
Il faut que demain revienne, et les couleurs du jour, et le sourire des gens et le soleil sur les joues des filles. Je ne veux plus regarder autour de moi. Je veux scruter la brillance des étoiles pour y lire les joies qui m’attendent (Le Silence des horizons, p.7)
Un jeune homme tourmenté fuit la ville et les ombres de sa vie pour rejoindre son ami Sidi qui accompagne un groupe de touristes sympathiques dans l’Adrar, la région historique du nord de la Mauritanie. Dans un moment de « folie », de « rage démente », il a commis un crime, comme si le destin le condamnait à faire comme son père, accusé de meurtre après avoir abandonné en plein desert « le » Cheikh, leader religieux admiré et respecté.
Le désert et ses vieilles cités
Ce « père maudit » qu’il n’a jamais connu et que sa mère a tenté d’effacer, le poursuit. « Ce père qui me vole tout », dit-il, même son amour, Fati, qui l’a délaissé, pense-t-il, à cause de son nom.
Le narrateur nous dit la beauté du désert et de ses nuits où « on s’endort vite, bercé par le bruissement des natures mortes, par le ciel toujours bleu, même quand il est noir, par le regard des étoiles, et par la musique du silence ».
Beyrouk, fils d’instituteur, a dès le départ choisi d’écrire en français. Dans une langue riche et limpide, pleine de lyrisme, il nous entraîne dans une réflexion poétique sur la solitude, le destin, les origines et le chemin difficile entre une culture qui disparaît et la modernité.
Il nous emmène dans les veilles villes décaties de Mauritanie, d’abord la ville minière d’Akjoujt, « épuisée par les vagues des rapaces », où « la nostalgie ne se devine même plus ». Puis Atar, sa ville natale, où il a passé de premières années heureuses au côté de sa grand-mère et où l’auteur est lui-même né en 1957. Ou encore Chinguetti, « la ville de la vieille mosquée et des manuscrits poussiéreux ».
Une histoire dans l’histoire
Rongé par la culpabilité, plongé dans ses souffrances, parfois au bord du délire, le jeune homme n’est pas très présent au groupe de touristes. Sauf le soir, quand les enfants lui demandent de leur raconter des histoires. Pour eux, il invente un conte, histoire dans l’histoire, celui d’Omom, un bon djinn qui rêvait de visiter la Terre, pourtant conquise depuis longtemps par les mauvais djinns, une planète où « tout le monde est seul ».
Petit à petit, on s’aperçoit que la réalité n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire. Au fil du récit, au détour d’une rue de Oualata la lointaine, le jeune homme retrouve la trace de son père dans les mots et le regard d’une femme qui l’a connu. La quête de ce géniteur, un aventurier des grands espaces qui aimait la vie, membre d’une tribu de pillards sans peur, poètes et généreux, confine parfois à l’enquête policière. Et nous ne dirons rien du dénouement inattendu de l’histoire.
Le Silence des horizons est le cinquième roman de Beyrouk. Il a aussi publié un recueil de Nouvelles du désert(Présence africaine, 2009). Il a reçu le prix du Roman métis des lycéens et le prix Ahmadou-Kourouma décerné à Genève, pour Le Tambour des larmes(Elyzad, 2015).
« Le Silence des horizons », de Beyrouk (Elyzad – 187 pages – 18 €)
Extrait :
« Je suis tourné vers le couchant et je sens revenir mes tourments, tout au long du voyage j’ai essayé de les dompter, je les ai insultés, je les ai chassés, j’ai appelé les esprits, les bons et les mauvais, pour les vaincre, j’ai fermé les yeux pour les oublier. Ils m’embrument maintenant le cerveau, ils me serrent aux entrailles, ils m’étouffent. De guerre lasse, je les laisse enfin se promener dans ces eaux boueuses qui abritent mes pensées. Je suis comme un spectateur aphone qui se voit lui-même passer, habillé des haillons de ses peurs et qui tente vainement de se donner un nom. » (Le Silence des horizons, p. 18)
Valérie Oddos Franceinfo