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Après l’avoir vu, en avril à Paris, je suis reparti revoir à l’Institut français de Mauritanie ce soir le film Fanon d’Alexandre Bouyer. Pour réécouter cette phrase : « Nous demeurons dans une tension permanente ». Un film à voir, pour la force d’une pensée qui prend peu de rides. À cette occasion, je partage avec vous ma contribution Sur Fanon, livre publié en 2016 par les éditions Mémoire d’Encrier, merci Rodney Saint-Éloi. Voici le texte :

Le silence de la termitière, la force de la pensée[1]
Il est des pensées qui s’immobilisent à l’ombre d’un rocher. Et des actes qui en consolident l’élan. C’est la teneur même de l’épitaphe Rebelle qu’Aimé Césaire écrivit à Frantz Fanon : « Bien sûr qu’il va mourir le Rebelle. Oh, il n’y aura pas de drapeau même noir, pas de coup de canon, pas de cérémonial. […] l’ordre évident ne déplacera rien.» Les mots ont connu la prophétie : le Rebelle est mort à trente-six ans, le 6 décembre 1961. Rien ne s’est déplacé. Seulement, Césaire avait prévenu : « On a beau peindre blanc le pied de l’arbre, l’écorce en dessous crie ».
Elle est là, la force de l’un des fils des Damnés de la terre[2]. Qui a hélé et crié avec des combattants dans les maquis. Et il apparaît que Fanon n’a écrit les Damnés que pour mieux célébrer sa communion avec les nombreux opprimés de la terre. Qu’ils soient des Antilles (terre de sa naissance), d’Afrique noire (nimbe de ses racines historiques) et du Maghreb (lieu où s’était implanté le cœur militant). Lui, le rétif à toute injustice, a dix-huit ans quand le jour du mariage de sa sœur il annonce à sa famille qu’il va rejoindre Les Forces françaises libres. L’argumentaire est imparable, comme le rapporte son frère Joby dans Frantz Fanon, De la Martinique à l’Algérie et à l’Afrique[3] : « Je ne suis pas un romantique, j’ai les pieds sur terre. Chaque fois que la liberté est en question, je me sens concerné. […] Où la liberté sera menacée, je m’engagerai ». Nous sommes en 1943, et le chemin tracé transitera par l’île de la Dominique pour aboutir aux confins de l’Algérie, en passant par Casablanca et Meknès au Maroc, et l’empire français bien entendu !

Entre Sartre et les écrits psychanalytiques, les origines ne sont d’aucun poids. Seule compte la philosophie de la vie, de l’action. Tellement la peau, écuissée par le nazisme et le colonialisme, s’était forgé une ambition : libérer l’humain, où qu’il soit. Sortir « l’homme neuf de la grande nuit », pour reprendre ses propres termes. Ce sera le sens de sa vie, aux côtés des Algériens pour leur autonomie.

Plus de cinquante ans après sa mort, la pensée de Fanon demeure vivace. Le proscrit de l’Algérie d’hier, et l’incompris de Pour la révolution africaine[1], est plus que jamais d’actualité. On se souvient de ses leçons, et du courage qui l’anima. Car le contexte est celui de la renaissance de ses alertes. Des assassinats de Patrice Lumumba au Congo et de Thomas Sankara au Burkina, à la guerre sans fin enclenchée au Mali, sans oublier le bal des ridicules en Centrafrique et à Madagascar, en passant par des républiques bananières nimbées de sang, on demeure dans le champ de Peau noire, masques blancs[2] ! Une Afrique, et des dirigeants téléguidés qui s’offrent en spectacles ; sans jamais atteindre celui qu’on mime. Le tout sous des outils sans cesse renouvelés : la fabrication des terrorismes, des révolutions aux contours de « printemps », des réseaux de coopérations dites multilatérales et décentralisées, jusqu’aux systèmes des Nations unies et leurs ajustements ciblés… Frantz Fanon n’est plus là pour le décryptage. Si les termitières pouvaient…
Bios Diallo