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Le 9 février 2018, une image forte marque l’histoire énergétique de l’Afrique de l’Ouest : à Nouakchott, les présidents Mohamed Ould Abdel Aziz et Macky Sall scellent un accord sur l’exploitation du gisement gazier transfrontalier Grand Tortue Ahmeyim (GTA). Un partenariat inédit qui ambitionne de faire de la Mauritanie et du Sénégal des acteurs majeurs de la production gazière sur le continent.
Cet accord, fondé sur un partage équitable des ressources (50/50), avait suscité un enthousiasme légitime. Il laissait présager une exploitation rapide du gisement – avec toutefois deux années de retard – et un apaisement durable des relations bilatérales, longtemps marquées par des tensions. Mohamed Abdel Vetah, alors ministre mauritanien du Pétrole, des Mines et de l’Énergie, n’hésitait pas à parler de « sagesse extraordinaire » des deux dirigeants.
Le gisement GTA est, de fait, une ressource d’envergure mondiale : près de 450 milliards de mètres cubes de gaz, exploitables sur une vingtaine d’années. Les espoirs étaient immenses. Certains entrevoyaient même une trajectoire similaire à celle des pays du Golfe, avec, à l’horizon, un boom économique porté par l’énergie.
Mais la réalité s’est avérée moins reluisante. Comme souvent sur le continent, les parts réservées aux pays hôtes sont restreintes : 10 % seulement, pour chacun. Un chiffre qui, en l’état, ne permettra ni de transformer en profondeur les économies mauritanienne et sénégalaise, ni de financer durablement les politiques publiques. L’écart entre le potentiel du gisement et la part réellement captée par les États interroge.
Et si un autre modèle avait été possible ?
La Mauritanie et le Sénégal auraient pu faire un choix plus ambitieux. Plutôt que de signer un accord bilatéral classique, ils auraient pu construire une véritable communauté d’intérêts énergétiques en créant une entité commune issue de la fusion entre Petrosen et la SMPH. Une société binationale, publique, dotée de prérogatives fortes pour exploiter, gérer et développer les ressources du GTA.
Une sorte d’OMVS du gaz, qui aurait permis de parler d’une seule voix face aux compagnies internationales, d’améliorer sensiblement les conditions de négociation, et de mutualiser les retombées économiques. Une telle structure aurait aussi ouvert la voie à une coopération stratégique élargie, reposant sur quatre axes majeurs de transformation partagée :
1. Souveraineté énergétique : en investissant ensemble dans la transition énergétique (gaz, solaire, éolien), les deux pays auraient pu bâtir une stratégie de sortie progressive des énergies fossiles et d’accès universel à l’électricité.
2. Souveraineté alimentaire : avec une politique agricole commune dans la vallée du fleuve Sénégal, véritable grenier naturel, il aurait été possible de garantir la sécurité alimentaire des deux populations, de créer de l’emploi rural et de renforcer la résilience climatique.
3. Souveraineté numérique : en mutualisant les investissements dans le numérique, les données et les réseaux, la Mauritanie et le Sénégal auraient pu poser les bases d’un écosystème technologique commun au service de l’innovation, de l’éducation et de la gouvernance moderne.
4. Développement des infrastructures : des projets structurants comme plusieurs ponts sur le fleuve Sénégal, une ligne ferroviaire commune, des routes transfrontalières ou encore des hubs logistiques régionaux auraient connecté les deux économies, dynamisé les échanges et renforcé l’intégration physique et territoriale entre les deux rives.
Certes, l’accord de 2018 reste une avancée. Mais il révèle aussi les limites d’un cadre de coopération qui, faute d’audace, laisse échapper une partie de la valeur ajoutée au détriment des intérêts stratégiques des deux nations.
Il est encore temps de corriger la trajectoire. GTA peut être plus qu’un projet gazier : il peut devenir le symbole d’une nouvelle manière de coopérer, plus souveraine, plus juste, plus visionnaire. À condition d’avoir le courage politique de penser au-delà des accords techniques pour embrasser une ambition historique.
Elimane Abdoul Daim Kane dit Lamine