Il ne faut pas désespérer Bignona

C’est une citation vraisemblablement apocryphe mais elle est généralement attribuée à Jean-Paul Sartre. Pour maintenir la flamme révolutionnaire chez les ouvriers français qui étaient majoritairement membres du Parti communiste à l’époque, le grand philosophe français aurait eu cette formule passée à la postérité: « Il ne faut pas désespérer Billancourt », cette localité étant le siège historique du fabricant de voitures Renault. Ce qui se passe avec ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Sonko-Adji Sarr » est extrêmement grave et ce sera lourd de conséquences sur la stabilité du pays. Évidemment, il est hors de question pour nous de nous prononcer sur la culpabilité ou non du leader du Pastef, accusé de viol par la dame Adji Sarr. Il appartiendra à la justice de trancher la question. Mais justement, que vaut encore, aux yeux d’une grande partie de l’opinion publique, l’image de cette justice dont la crédibilité a été mise à rude épreuve, des événements de 1962 avec le procès Mamadou Dia, en passant par les « affaires »
Idrissa Seck, Karim Wade, Khalifa Sall et aujourd’hui Ousmane Sonko ? Depuis son accession au pouvoir, le président Macky Sall donne la tenace impression de ne pas souffrir la contradiction et de vouloir, coûte que coûte, « réduire l’opposition à sa plus simple expression », selon sa formule malheureuse.

Ce n’est pas un emprisonnement programmé de Sonko, avec la levée de son immunité parlementaire, sauf retournement de situation extraordinaire, qui va corriger cette perception aujourd’hui largement partagée au Sénégal et à l’étranger. Et qui risque de porter un rude coup à l’image de marque d’un pays longtemps présenté comme un modèle, malgré ses imperfections, avec deux alternances politiques exemplaires. Qu’on le veuille ou non, Ousmane Sonko est aujourd’hui un homme politique majeur, qui draine du monde et qui, sans moyens, s’est classé troisième lors de la dernière présidentielle avec 15% des voix, un exploit rarissime dans les annales. L’irruption sur la scène politique de cet ancien inspecteur des impôts et domaines est révélatrice d’une mutation sociologique très profonde. Après 60 ans d’une indépendance qui est loin d’avoir tenu ses promesses, une bonne partie de la jeunesse africaine en a plus que marre des satrapes qui ont entravé son développement et maintiennent des liens incesteux avec la Françafrique dont le symbole le plus caricatural, qui alimente un débat parfois hystérique dans les anciennes colonies, reste le franc CFA. Une jeunesse qui aujourd’hui, sur les réseaux sociaux, redécouvre et réhabilite des figures comme Patrice Lumumba, Thomas Sankara, Cheikh Anta Diop ou Mamadou Dia. Ousmane Sonko a su capter cet électorat et exerce sur lui une fascination réelle.

Certes, l’homme est loin d’être sans défauts: ses dérapages sont légion, lui-même et ses ouailles se distinguent souvent par leur allergie à la contradiction, le lynchage médiatique de ceux qui ne partagent pas leur point de vue et sur bien des sujets, par des prises de position à géométrie variable. Mais en dépit de la suffisance et des insuffisances de certains de ses cadres, le Pastef est une bonne nouvelle pour la remuante démocratie sénégalaise dont la captation à son seul profit par un parti hégémonique signerait le certificat de décès. Plus grave, de par ses origines, Ousmane Sonko représente un symbole très fort dont il serait dangereux de mésestimer la portée. Le département de Bignona dont est originaire son père, a fourni pendant longtemps des contingents entiers de combattants au Mfdc. Dans le bricolage idéologique qui a servi de vade mecum au mouvement irrédentiste, soufflant sur les braises, l’abbé Diamacoune Senghor et surtout Mamadou Nkrumah Sané ont embarqué des centaines de jeunes dans une aventure sans lendemain, en faisant le procès de «Nordistes» arrogants et accapareurs de terres de la verte Casamance. Tout n’était pas faux dans ce constat, Diamacoune et Sané ayant simplement donné de très mauvaises réponses à de très bonnes questions. Parmi les jeunes qui avaient répondu à l’appel du maquis, figuraient des collégiens et lycéens comme Salif Sadio, Souhaibou Kamoughe Diatta, Abdou Elinkine Diatta, César Atoute Badiate, pour ne citer que ceux là, tous devenus de redoutables chefs de guerre.

Quarante ans après, l’armée sénégalaise continue de faire face à l’une des plus vieilles guérillas au monde avec les Farc. Pourtant, lors de la dernière présidentielle, en tournée en Casamance, Ousmane Sonko tiendra l’un des discours les plus émouvants et responsables de sa jeune carrière, en appelant les indépendantistes à déposer leurs armes et à réintégrer la République. Arrivé deuxième au Fouta, il est le meilleur symbole aujourd’hui de la cohésion nationale et constitue un démenti cinglant aux thèses séparatistes. Ceux qui veulent à tout prix faire « tomber » Sonko, y compris par des moyens sordides, mesurent-ils la portée de leurs actes? Ne risquent-ils d’apporter de l’eau au moulin des boutefeux qui ne manqueront de dire que, décidément, avec cette « affaire Sonko », après les avoir combattu par les armes, le « Nord » (sic) veut les neutraliser par les urnes? En se rendant dans un salon de massage et en s’obligeant à un difficile exercice de justification, Ousmane Sonko est déjà dans une mauvaise passe et a un genou à terre. Que gagnerait-on à l’humilier davantage et à radicaliser ses épigones ? Il ne faut pas jouer avec le feu et surtout, il ne faut pas désespérer Bignona.

Barka Ba

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