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Comment dit-on « Viens à la maison » en pular, la langue des Peuls ? « Ar gallé. » Mais pour Amy Sow, c’est « Art Gallé », du nom de sa galerie d’art du quartier de Cité Plage, à Nouakchott, la capitale mauritanienne. Art Gallé, c’est un lieu d’exposition, mais aussi un centre de création, une résidence d’artistes et un espace protégé pour les femmes qui s’y rencontrent et s’y confient.
La maison est immanquable dans ce dédale de ruelles sans nom qui jouxtent le port. Elle est en bois, alors que tout est construit en béton dans ce pays où le sable et le ciment ont depuis longtemps gagné la lutte contre la végétation et les arbres.
La maison en bois, c’est comme un radeau face à la montée de la mer et à l’avancée du désert » , lance Amy Sow pour expliquer son choix architectural, elle qui s’inquiète du changement climatique, de la fonte des glaces et de la désertification, elle qui dénonce aussi le choix quasi sociétal du béton dans un pays où la Toyota concurrence le chameau.
Victime d’une agression sexuelle
« Art Gallé a ouvert en 2017 après près de quatre ans de travaux » , explique Oumar Ndiaye, le mari de la plasticienne aux tenues flamboyantes. Des travaux mûris et réfléchis, avec un parti pris : « Bâtir avec des matériaux de récupération », du bois de palettes principalement et d’énormes pneus. Récupérés dans une décharge près du port de la capitale, ils meublent le rez-de-chaussée et habillent les pilotis qui soutiennent deux étages, l’un pour les expositions temporaires, l’autre pour l’atelier et la résidence d’artistes avec ses deux chambres.
Amy Sow ne passe pas inaperçue dans cette République islamique de Mauritanie foncièrement patriarcale où le droit des femmes progresse moins vite que le désert. « Mon art s’oriente sur les violences liées au genre » , précise cette francophone de 43 ans qui refuse tout héritage misogyne et toute aliénation intellectuelle. Elle-même victime d’une agression sexuelle lorsqu’elle avait 20 ans, elle a intitulé l’une de ses pages Facebook « OsonsDénoncer ».
Costumière sur le film Timbuktu
Dans son atelier, cinq sculptures réalisées en câble électrique témoignent d’autant d’histoires vraies de femmes pour qui l’eau est à la fois un luxe et un esclavage : Elles ont connu le calvaire de la corvée d’eau aux rares puits, le remplissage sans fin des guerbas (gourde en peau de chèvre), du matin quand les rayons du soleil paraissent au-dessus de leurs têtes jusqu’au soir quand le soleil et tout le monde est déjà couché.
Mon engagement féministe est très fort car la femme reste obligée de s’en tenir au rôle ménager, parce que le gavage existe encore pour que les filles rentrent dans les canons esthétiques des hommes. Il faut aussi permettre aux femmes de parler des violences qu’elles subissent et les convaincre que l’autocensure doit s’arrêter.
Née dans un pays qui ne s’intéresse guère aux arts plastiques et qui privilégie le patrimoine oral et la musique, elle a eu la chance d’avoir un père douanier mais peintre et guitariste et une mère couturière de talent. C’était partout coloré chez nous » , se souvient-elle. Témoignage de cet atavisme, sa jeune sœur, Bana, est devenue styliste et a lancé la marque de vêtements Bana Korel.
En 1999, sans formation artistique, Amy Sow commence à peindre et à sculpter. Vingt ans plus tard, bien que quasiment ignorée par les autorités locales et le ministère de la Culture en tête, elle flirte avec la reconnaissance internationale, notamment grâce à sa participation comme costumière plasticienne sur le film Timbuktu (2014), réalisé par son compatriote Abderrahmane Sissako.
L’une des rares artistes mauritaniennes à être exposée en dehors des frontières, Amy Sow a participé aux biennales internationales de Dakar (Sénégal), Tunis (Tunisie) et Agadir (Maroc). Une de ses œuvres a été exposée au palais de Chaillot, durant la Conférence de Paris sur les changements climatiques (Cop21), en 2015. À Nouakchott, elle a lancé le Festival Libre’Art dont la cinquième édition en 2020, financée par l’Union européenne, a réuni des artistes du Togo, du Maroc, d’Éthiopie… Mais trop peu d’artistes plasticiens mauritaniens. Si nous avions une école des Beaux-Arts… se lamente-t-elle. Et des lieux pour créer, et de l’argent pour acheter de la peinture et de la matière, et des mécènes… L’art doit continuer à vivre pourtant. »
Philippe CHAPLEAU, Ouest-France