- rmi-info
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Je n’ai jamais été un fervent défenseur de la discrimination, même «positive» -ou du moins de son entendement simpliste par une partie de l’élite politique de notre pays- et ce pour des raisons que je peux énumérer à souhait.
Primo, le prisme des «franges sociales», à travers lequel certains de nos hommes politiques tentent obstinément de compartimenter le corps social mauritanien, fait fi de la réalité socialement métissée (et donc complexe) de notre pays.
Secundo, les principaux freins (misère matérielle, séquelles de l’esclavage, népotisme, gabegie, etc.) qui freinent notre évolution souple vers une société égalitaire, démocratique et moderne, transcendent, historiquement et dans les faits, les lignes de fracture ethno-raciales supposées…
Tertio, l’assouplissement du conservatisme outré caractéristique de la société mauritanienne dans son ensemble, ne saurait résulter de l’apologie de l’esprit ethno-centré, bien au contraire, ce dernier renforce les certitudes claniques et vice-versa. Le discours «ethniciste» ne me semble guère plus noble que les tares qu’il est censé combattre; j’ai l’intime conviction que les promoteurs de ce discours se contredisent gravement en voulant aplanir des problèmes de société avérés, par le biais de la stigmatisation aveugle, injuste et contre-productive; on ne soigne pas un mal en en provoquant un autre davantage plus insidieux.
Quatro, un cadre «discriminé positivement» au niveau d’un poste public stratégique aura tendance, à travers ses actes et ses arbitrages, à préserver «le filet de sauvetage» qui lui assure sa survie politique, promouvant ainsi une forme de tribalisme moderne susceptible de neutraliser, au quotidien, les règles élémentaires d’équité, de justice et les chances de progrès et d’intégration sociale.
Quinto, la “discrimination positive” pour l’accès à la haute administration publique comporte le risque gravissime d’ériger la “discrimination” (positive ou négative) en mode exclusif d’accès aux emplois publics, au détriment des critères universellement admis en la matière, telle l’égalité des chances. À ce propos, j’étais souvent amusé d’entendre le même leitmotiv chez la quasi-totalité des activistes politiques nationaux, indépendamment de leur background social: “nous sommes marginalisés!” (“Hna Mouhamchine!”, en Hassaniya), un tel “nous” exclusif sert ainsi de “cache-misère” oral, pour exprimer un particularisme social, tout en évitant de le désigner nommément; cela peut vouloir dire: “notre tribu”, “notre ethnie”, “notre frange sociale”, “notre région” ou “notre famille”, etc. Dans ces conditions, le niveau d’études et l’expérience pratique deviennent caducs en comparaison des motifs, parfois subjectifs, de “discrimination”. Quel est le pourcentage de “discriminés ” dans la haute administration publique de notre pays? Un chiffre difficile à estimer, mais son impact est perceptible sur l’efficacité et l’efficience de cette administration, car la discrimination est, par essence, antinomique de conscience et de créativité professionnelles.
Sexto, le communautarisme a révélé ses limites dans les pays qui l’avaient historiquement adopté comme mode de gestion politique; car figer artificiellement la société dans une configuration politique donnée, à logique antagoniste et archaïque, c’est en menacer la cohésion présente et en hypothéquer le développement harmonieux ultérieur. Sur un plan individuel et dans un monde soumis à des accélérations existentielles récurrentes, la mobilité socio-économique doit rester une possibilité et un droit, régis par la liberté et le mérite.
Septimo, une école républicaine universelle, égalitaire et de qualité, constitue le remède idéal pour résorber efficacement les problèmes de société, promouvoir l’équité dans la durée et asseoir définitivement la concorde sociale. Entre-temps, il serait souhaitable de consacrer 50% -au moins- des recrutements publics «à l’État», via des concours ouverts aux jeunes de ce pays et sur la base du mérite scolaire, du dépassement des clivages particularistes stériles (l’état d’esprit citoyen), de l’expérience et de la probité.
Isselkou ould Ahmed Izidbih. Ancien ministre des Affaires Etrangères