Dialogue/Unité nationale : Va-t-on dépassionner le débat ?

Que pourraient apporter à la Mauritanie les concertations actuellement en gestation entre les acteurs politiques ? C’est la question qui taraude ceux-ci, les observateurs et, dans une certaine mesure, les partenaires techniques et financiers, soucieux de stabilité pour leurs investissements. Ce n’est un secret pour personne qu’un certain « malaise », pour ne pas dire méfiance, sévit entre les différentes communautés du pays« Les Mauritaniens ne vivent plus ensemble », a-t-on même entendu dire, « mais côte-à-côte ». La situation est donc sérieuse et il faut en prendre toute la mesure. Cela fait des années que la question de l’unité nationale et de la cohésion sociale est rabâchée par les partis politiques et les acteurs de la Société civile. Des termes très « bateaux » dont on se demande si ces acteurs et l’État – qui en est le premier responsable…– se mettront d’accord sur le contenu et les solutions, tant sensiblement divergent les intérêts des uns et des autres. Déjà deux manifestes pour plus de droits politiques, économiques et sociaux ont été publiés : l’un en 1986, par les cadres négro-africains, et l’autre en 2014, par leurs homologues haratines ; tous dénonçant un racisme d’État qui les exclut, dans les faits, de tous les leviers politiques, économiques, sociaux, militaires, sécuritaires et autres…

Des frustrations qu’ils accumulent depuis des années. La dernière présidentielle de 2019 est venue accentuer le fossé entre les communautés. La question du « Vivre ensemble » fut l’un des thèmes centraux de la campagne électorale. Un long chemin dont les partis politiques à leadership négro-africain se sont chargés de rappeler quelques dates douloureuses. Notamment les évènements de 1986 à 1990, avec la déportation de milliers des leurs vers le Sénégal et le Mali et les exécutions extrajudiciaires dans les casernes des forces de défense et de sécurité. Les mouvements négro-africains parleront d’une « épuration ethnique » perpétrée par Ould Taya et dénonceront la loi d’amnistie de 1993 visant à protéger les présumés auteurs ou commanditaires de ces crimes. Sous ould Abdel Aziz, la marginalisation s’est renforcée, donnant l’impression à nombre de citoyens noirs d’« être étrangers en leur propre pays », comme s’en plaindront certains, constatant des « nominations à caractères mono-ethniques, des écoles réservées à certaines catégories de citoyens, le tribalisme et le clientélisme ». Au plan politique, on ressent comme une Mauritanie coupée en deux : riches, les uns seraient tous blancs, les autres tous noirs et pauvres. La topographie de certains quartiers de la capitale illustre cette dichotomie, excessivement manichéenne sans doute mais cependant expressive d’une indéniable généralité.

Toutes ces questions sont aujourd’hui d’actualité. Les victimes et rescapés des événements de 86-90 continuent à dénoncer le refus de l’État de leur apporter des solutions idoines. La loi d’amnistie de 93 qui fut adoptée avec un pressing manifeste de hauts cadres de l’État reste en vigueur et, rangé depuis sous le vocable « Passif humanitaire »,  tout ce dossier se voit ignoré sinon étouffé par nombre de maures. Avec la « Prière de Kaédi », Ould Abdel Aziz déclarant l’avoir réglé et clos, complicité de quelques rescapés militaires et veuves aidant.

Les journées de concertations pendant la transition 2005-2007 et les divers dialogues politiques sous Ould Abdel Aziz n’ont pas réussi à soigner les nombreuses plaies sur le chemin de l’unité nationale où la question de l’esclavage et/ou de ses séquelles dont sont particulièrement victimes les Haratines double la question raciale d’une dimension statutaire touchant toutes les communautés. Ici, malgré l’adoption d’une loi criminalisant cette pratique et ses conséquences, les organisations de défense des droits de l’Homme ne cessent d’épingler et de dénoncer des cas flagrants dont le dernier aura été celui de Ouadane, en Adrar. Les institutions mises sur pied pour sortir de leur dépendance économique et de leur pauvreté les anciens esclaves ainsi que leurs homologues« libérés » ou tout simplement désireux de sortir de la servilité, ne sont trop souvent que des structures« cosmétiques »à seule fin de plaire aux bailleurs et organismes internationaux. Les milliards mobilisés à cet égard sont en grande partie dépensés au profit de gros bonnets et de leurs fonctionnaires complices.

École et langues nationales

Voilà l’essentiel de ce qu’on appelle la « question nationale » ou « dossier de l’unité nationale ».Mais son soubassement tient à celui de l’école. Les Négro-mauritaniens dénoncent l’utilisation de la langue arabe – « langue nationale et officielle » – pour les empêcher d’émerger. Et de réclamer en conséquence l’officialisation et l’introduction des langues pulaar, soninké et wolof dans le système éducatif pour, d’une part, renforcer l’unité nationale et la cohésion sociale, et donner,  d’autre part,  les mêmes chances à tous les enfants du pays. Une expérience concluante fut menée dans les années 80, avant de se voir prestement étouffée quand il s’est agi de passer à sa généralisation. Des extrémistes qui avaient fini de phagocyter le pouvoir renversèrent le gouvernement militaire d’Ould Haïdalla et réduisirent l’Institut des Langues Nationales (ILN) à une coquille vide. L’école républicaine annoncée par le président Ghazwani lui redonnera-t-il vie ? Rattaché au Département des langues de l’Université de Nouakchott, il attend son heure…

Haro sur l’exclusion !

La « question nationale » a pris aujourd’hui une telle ampleur que même certains partis politiques jusque-là taxés d’extrémistes pour avoir refusé de dénoncer les injustices dont sont victimes les Noirs de Mauritanie s’en sont emparés. Il aura fallu que le défunt président de la République Sidi ould Cheikh Abdallahi décide d’amorcer le rapatriement des déportés au Sénégal et rencontre des mouvements négro-africains qualifiés, eux aussi, d’ultras, pour que leurs antagonistes s’engagent à déstabiliser son régime. 8 Août 2008. Face à une opposition déterminée à lui barrer le chemin, le général Ould Abdel Aziz s’attache les services de plusieurs de ses frères d’armes et autres opportunistes politiques pour rallier le vote des gens. Il organise la « prière de Kaédi » le 25 Mars 2009 et décrète une « Journée nationale de réconciliation » qui va, de fait, s’attacher surtout à diviser les organisations des victimes et rescapés militaires, au lieu de panser véritablement les plaies. Tout au long de la décennie qui suit, les partis politiques à leadership négro-africain  donnent de la voix et élèvent, dans l’Hémicycle, la dénonciation de la marginalisation de leurs communautés,  avec les députés Ibrahima Sarr, Thiam Ousmane et Sawdatou Wane. Ils sont soutenus par divers autres,  à l’instar de l’UFP, avec Kadiata Malick Diallo et Moustapha Bedredine, ou du RFD, avec Kane Hamidou Baba… De retour au pays, les FLAM – qui deviendront FPC, parti toujours non reconnu à ce jour – pourfendent « l’exclusion des Négro-mauritaniens et des Haratines »,à l’instar de l’IRA de Biram Dah Abeïd et d’autres organisations comme SOS Esclaves, AFCF ou le FONADH… Un front commun contre le « beïdanisme » semble ainsi se former.

Face à ces critiques et à la réaction de la Communauté internationale, l’UPR, le parti au pouvoir, et ses soutiens de la majorité présidentielle apportent la réplique. Dans les dialogues organisés avec divers partis de l’opposition, colloques et séminaires, les questions de l’unité nationale et du passif humanitaire ne sont plus sujets tabous. Tout le monde prétend s’en préoccuper… mais sans jamais y apporter de véritables solutions. Aujourd’hui et malgré la présence en son sein de plusieurs « nationalistes », l’UPR semble aborder ces problèmes avec moins de passion. Lors d’un atelier consacré au renforcement de l’unité nationale et à l’éradication des « séquelles » de l’esclavage, l’un de ses vice-présidents a défendu la recherche d’un consensus autour d’une plate-forme de convergence entre tous les acteurs politiques sur la question nationale, parce qu’« on ne peut plus », fait-il remarquer, « continuer à tirer, chacun de son côté, la couverture à soi » : le risque de la déchirer a trop grandi. Cette plate-forme doit permettre de répertorier tous les problèmes du pays en vue d’en débattre sans passion et sans parti pris.

Mais certains malins esprits s’entêtent à juger extrémiste, voire ennemi de la Nation, tout celui qui dénonce les injustices et les exclusions. On se rappelle des réprobations qu’avait suscitées le discours de Balas lors de l’ouverture du dernier dialogue politique au Palais des congrès. Le président du parti Arc-en-Ciel y évoquait le calvaire subi par les Négro-africains pendant les années de braises 89-91 ; se sentant morveux, certains boutefeux tentèrent de couvrir son discours par un vacarme hostile et Ould Abdel Aziz dut intervenir en leur demandant fermement de le laisser continuer.  On se souvient également de l’ire suscitée par les propos du président Biram Dah Abeïd affirmant la réalité de l’apartheid en Mauritanie. Le fait est que les extrémistes de tous bords paraissent incapables de parler de l’unité nationale sans passionner le débat. Les uns nient jusqu’à même les évènements de 89-91 et l’exclusion dont sont victimes les Noirs du pays ; les autres mettent tous les Maures dans le même panier, oubliant l’audace de ceux qui dénoncèrent publiquement les exactions racistes commises par le régime d’Ould Taya. Le cas des jeunes du MDI dont beaucoup étaient pourtant des « fils-à-papa »fut salué par tous les patriotes. La vérité est qu’il y a beaucoup de compromis, en Mauritanie, entre blancs et noirs –c’est son histoire même – et c’est tous ensemble qu’il faut avoir le courage de dénoncer les injustices et rétablir les victimes dans leur droit. On ne doit pas régler le problème des uns pour en satisfaire d’autres. Tout comme il n’y a pas de problème sans solution, sitôt qu’on accepte d’en parler sans passion.

On en est encore loin. La réaction de certains partis et acteurs politiques aux déclarations du président Messaoud ould Boukheïr, le président d’APP, de Moctar Sidi Maouloud de Moustaqbel et d’Ould Dellahi du PMDE, lors de la conférence de presse des partis de l’opposition, laisse sceptique sur ce qui pourrait advenir des concertations annoncées. Tous dénonçaient l’exclusion dont sont victimes les Noirs du pays. Samba Thiam, le président des FPC, souhaitait dans la foulée que le dialogue en gestation ouvre à une refondation de la Mauritanie sur des bases saines et justes. Nul n’a compris pourquoi le président Ghazwani a balayé du revers de la main tout « dialogue » politique arguant de ce que « la Mauritanie ne connaît pas de crise ». Mais, en off, bon nombre de cadres, et d’élus de la majorité présidentielle vous avouent que la situation du pays ne peut pas continuer ainsi.

Avec l’engagement de l’UPR et des partis de l’opposition, peut-on espérer que les concertations dont on parle partout amènent les uns et les autres à une réelle convergence de vue sur le vivre ensemble en Mauritanie ? Et le président Ghazwani à faire avancer d’un grand pas cette question, clouant ainsi le bec à tous ceux qui l’accusent de faire quasiment la même chose que son prédécesseur ?

Feuille de route à actualiser

Les thèmes de la feuille de route sont pertinents : processus démocratique en vue de réformes constitutionnelles et législatives, renforcement de l’État de Droit, révision du système électoral, normalisation de la vie politique ; traitement des dossiers des droits nationaux en suspens en vue de l’unité nationale, éradication réelle de l’esclavage et de ses séquelles, mise en évidence des voies et mécanismes à même de consolider la cohésion sociale ; bonne gouvernance à travers la lutte contre la corruption, réforme de la justice, de l’administration et du Domaine, consolidation des réformes de l’enseignement, de la santé et de la décentralisation, formulation des processus garantissant au citoyen l’accès aux services publics, assainissement des marchés publics et renforcement, enfin, de la juste application de la loi sur la Fonction publique. Ce chapitre devra permettre aux femmes, aux jeunes et à la diaspora de participer à la vie politique et au développement du pays ; accompagner et renforcer la réforme des médias publics et la liberté de la presse ; développer la préservation de l’environnement, le traitement des impacts des changements climatiques et la protection des intérêts supérieurs du pays. Mais il reste à revoir certains points : si la question de l’esclavage et/ou de ses séquelles est bien explicitée dans la thématique de l’unité nationale, le passif humanitaire est absent du paragraphe. L’expression « dossiers des droits nationaux en suspens » demeure floue.

Dalay Lam Le Calame

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