Faute d’opposition solidaire, le combat identitaire s’installe

La Mauritanie n’est pas une addition d’abstractions insaisissables, fugaces. Convient-il de le rappeler, puisqu’il nous arrive d’observer que certains en parlent comme si elle est un bloc humain homogène dont tous les membres seraient logés à la même enseigne (mêmes droits et mêmes devoirs pour tous les citoyens). Elle est composée objectivement d’identités ethniques diverses qui ne demandent qu’à vivre dans une Mauritanie juste et égalitaire. Mais il y a loin du rêve à la réalité.

Ces identités s’expriment et se définissent au travers des réalités historiques, géographiques, culturelles, linguistiques, sociales. Certaines de ces identités sont ignorées, marginalisées, bafouées, noyées dans un statut de citoyen de seconde zone ou de non-citoyen. D’où la résonance identitaire et légitime des voix qui s’expriment pour réclamer justice et égalité ; d’où le caractère identitaire des formes d’organisations et de luttes qui se voient ou s’ébauchent.

Ces revendications et luttes, au regard de ce qui les a rendues possibles et même inéluctables, eu égard à leur contenu et finalité, sont justes, légitimes et progressistes. En réalité elles élèvent et émancipent le pays. Elles ne le rabaissent ni ne l’appauvrissent. Elles visent finalement à construire une société de citoyens libres et égaux en droit et devoirs, dans laquelle le vivre-ensemble peut se concevoir et advenir. Elles n’entrent donc pas en contradiction avec les intérêts du peuple mauritanien. Peuple mauritanien perçu, défini et identifié comme étant la totalité des identités ethniques qui le composent et lui confèrent son identité nationale.

Mais ce qui détermine et renforce le caractère dit identitaire de ces organisations, revendications, protestations et luttes, c’est aussi et surtout, dirais-je, la volonté toujours affichée des autres entités politiques situées dans l’opposition de s’exclure, de se désolidariser quasiment des protestations et combats politiques dits identitaires ; c’est leur obstination constante dans le refus de prendre pleinement en charge les revendications, pourtant urgentes et prioritaires, des groupes ethniques qui étouffent dans l’exclusion au point de sombrer dans un quotidien fait de survie — sans aucune lueur d’espoir d’un lendemain meilleur.

Soulignons-le avec force : si le combat politique mené par toute l’opposition était solidaire , c’est-à-dire conçu et conduit autour de l’idée centrale d’extirper, d’abord et avant tout, les discriminations ethniques et les injustices sociales, le combat dit identitaire s’y serait dilué, dissous. Faute de luttes solidaires, le combat identitaire légitime s’exprime, s’affirme et finit par se raffermir. C’est dans l’ordre naturel des choses.

On ressasse à longueur de journée et de page les mots et expressions : « Le peuple, unité nationale, évitons le sectarisme, le combat sectaire ou identitaire, extrémistes de tous bords… » Mots et expressions devenus paravents, et même séduisants comme alibis à moindres frais. Ils ont souvent en ces circonstances une double fonction : primo, ils permettent de se soustraire avec une allégresse sournoise à un devoir de luttes solidaires, concrètes et effectives pour extraire les groupes ethniques du pays des bas-fonds de la marginalisation et de l’exclusion où ils croupissent ; deuzio, ils sont brandis à chaque occasion pour discréditer et disqualifier ceux qui font de la lutte contre les exclusions ethniques et les injustices sociales à caractère raciste la priorité de leur combat politique.

Aimer la Mauritanie et être attaché à l’unité de son peuple dans sa diversité ethnique, c’est d’abord reconnaître qu’il y a, en vérité, deux Mauritanie : celle qui subit les conséquences désastreuses d’une gouvernance chaotique et scandaleuse, du népotisme et de l’incurie, et cette autre qui, en plus de ces tares, végète dans les discriminations raciales et les exclusions de toutes sortes. De cela résulte qu’il nous faut en construire une, et une seule, sur des fondement justes et égalitaires. Cela exige d’œuvrer ensemble pour éradiquer l’oppression et l’exclusion de la majorité des entités ethniques qui la composent.

Boye Alassane Harouna

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PS. La notion « Racisme d’État », en Mauritanie, dérange manifestement. Certains vont même jusqu’à oser dire qu’on en fait un usage abusif. Il faut s’efforcer d’éviter les abus de langage, certes. Mais que ceux qui semblent s’indigner de voir notre espace politique envahi par cette notion et ses dérivés n’oublient pas que ce ne sont pas les concepts et les mots qui créent les faits, les réalités, les drames et les injustices. Ce ne sont pas les notions et les mots qui fabriquent les maux. Les premiers viennent rendre compte de l’existence des seconds, en les nommant. Le non-usage ou l’interdiction de recourir à un mot, à un concept n’éradiquent pas pour autant l’existence ou la survivance des maux qu’ils désignent. Il faut s’attaquer aux maux, pour les guérir, et non aux mots qui signalent leur existence.

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