Un référendum : des réformes de luxe pour une population pauvre

Ce référendum répond-il aux préoccupations du peuple mauritanien ?

Le 5 aout 2017, les mauritaniens étaient invités à se prononcer sur le régime politique qui prévaut dans le pays. Un caprice du chef de l’Etat sur les couleurs du drapeau, sur le bicaméralisme du pouvoir législatif ou encore sur la suppression de la Haute Cour de Justice. Il s’agit certainement d’un sujet de dissertation très passionnant pour des étudiants en droit, mais pour une population dont les trois quarts vivent dans un état de pauvreté multidimensionnelle ou dans un état proche selon le rapport de l’ONU 2016 et qui est toujours confrontée à la problématique de l’unité nationnale, il nous semble que le curseur de l’urgence ou des réformes pourrait être placé ailleurs.

Le mauritanien établit dans la localité de BAKAW, dans le fin fond de la wilaya du BRAKNA, qui a comme seule ressource pour survivre la traite de ses vaches et le labour de ses champs a-t-il quelque chose à faire de la suppression ou du maintien du Sénat ? Le mécanicien installé au NET-TEK dans un espace sans toit ni porte avec juste une clôture en bois dans lequel il mène ses activés de mécaniques se soucie-t-il de la couleur de drapeau ? Les milliers de diplômé-chômeurs trouveront-ils du travail grâce à la suppression de la Haute Cour de Justice? Le chef de famille qui peine à boucler ses fins de mois s’est-il réveillé le matin du 05 aout en pensant à l’hymne nationale ?

Avec un smic à 35 000 UM selon les données 2016 la banque mondiale , on nous impose un référendum estimé à plus de 6 milliards d’ouguiya soit l’équivalent de 171 729 SMIC !!!

En réalité, la situation économique de notre pays ne nous permet pas d’organiser une consultation populaire sur de telles questions de luxe. Avec un indice de développement humain à  0,506 et en occupant la 156éme triste place  sur 188 (PNUD, 2014), la préoccupation de cet Etat devrait être autre que la couleur du drapeau ou le choix des institutions pertinentes dans un régime dit démocratique.

De facto, ce référendum exclu les préoccupations du  plus grand nombre de la population mauritanienne. Ce qui occasionne des achats de voix. « Komi dimo dimo… so rédou héwi » (je reste digne quand j’ai de quoi vivre) dixit ADVISER. Et c’est là que les « cadres » de la vallée ont eu un rôle à jouer pour le compte du général AZIZ ; sillonnant nos terroirs tels des loups affamés qui doivent impérativement ramener du gibier pour garder leurs privilèges. Les familles les plus démunies et les plus vulnérables sont à la merci de ces vendeurs de rêves malhonnêtes et sans vergognes qui promettent depuis des décennies un avenir radieux dont on n’a jamais vu la couleur.

De la position de l’opposition

Les mêmes intérêts  donnant naissance à des alliances de circonstance, l’opposition dite démocratique a eu un positionnement, sur lequel chacun peut avoir une opinion ,mais qui a le mérite d’être claire  et  logique. On ne peut pas non plus lui reprocher une paresse d’esprit.

Le refus de participer à ce référendum et donc d’opter pour un boycott répond, en plus des préoccupations des populations citées plus haut, à des considérations d’ordre d’éthique démocratique et de légalité.

Il y a eu un débat sur la constitutionnalité de la tenue dudit référendum. Nous contestons au chef de l’Etat la possibilité de s’adresser directement aux citoyens tel qu’il l’a fait et de ce fait nous ne pouvions logiquement participer à cette mascarade que nous jugeons anticonstitutionnelle.

D’ailleurs sur les questions posées au peuple, certaines aurait pu avoir un écho favorable auprès de l’opposition vu sa diversité et ses divergences. Il est donc impératif de comprendre que ce ne sont pas les questions de réformes posées qui sont contestées mais les conditions dans lesquelles celles-ci sont amenées au débat public et leurs utilités.

Le contentieux repose principalement sur  les articles 38, 99 et 101 de la Constitution. En effet si l’article 38 est appliqué sans tenir compte des articles 99 et 101 alors, « sur toutes questions d’importance » le chef de l’Etat pourra à l’avenir s’adresser directement au peuple y compris sur l’épineuse question de la limitation des mandats. Dans n’importe quel régime démocratique véritable, le conseil constitutionnel aurait été saisi pour émettre un avis sur la légalité de la tenue de ce référendum. Aujourd’hui nous sommes donc dans l’incertitude totale et des milliards ont été investie dans un référendum qui pourrait être irrégulier…

Après un temps d’attente anormale , avec des chiffres plus que douteux, la CENI a validé ce référendum avec un taux de participation de 53% sorti de nulle part . De plus, des irrégularités dans les bureaux de vote, dans le comptage des voix ainsi que dans les procès-verbaux ont été rapportés. La boite de pandore est ouverte et ne nous étonnons pas de voir à l’avenir la question de la limitation du nombre de mandat présidentielle soumis à un référendum.

Maintenant que le OUI l’a emporté face aux partisans du NON, dont personne n’a compris l’utilité de leurs votes si ce n’est pour augmenter le taux de participation, il faudra trouver des ressources pour modifier le drapeau sur les documents officiels, les bâtiments publics, les manuels scolaires etc. Ressources que le chef de l’Etat trouvera facilement pour ses hobbys de luxe mais quand il s’agit de financer des bourses à l’ensemble des étudiants mauritaniens, on nous et rétorquera toujours que les caisses du Trésor Public sont vides. Une fois de plus, un membre de la famille proche du général AZIZ se verra attribué ce vaste marché de travaux publics et le peuple continuera à pâtir de ces dépenses colossales pour des futilités.

Les semaines et mois à venir sont cruciaux pour l’histoire de notre pays et nous allons assister à une décision du conseil constitutionnel quant à la validité de ce référendum. Ses membres qui sont certes désignés pour la plupart par l’éxécutif ont une occasion historique de choisir de dire le droit au lieu de dire ce que le  général Aziz aura choisi de leur faire dire et ainsi invalider cette élection.

Que faire alors ?

Nous devons rester mobilisés autour de l’idée que nous, le peuple opprimé et oublié, voulons choisir nous même le monde que nous voulons . Il est impératif d’aller au bout de notre lutte et de nous placer du bon côté de l’histoire de notre pays. Il est de la responsabilité de la nouvelle génération de se mettre au garde à vous afin de ne pas tomber dans les travers et les regrets de nos prédécesseurs, de comprendre qu’il ne faut pas sacrifier son avenir pour un sac de riz ou un équipement sportif reçu du maire ou du colonel de la ville, de croire à un avenir meilleur et de ne pas hésiter à dénoncer les corrupteurs fussent-ils nos oncles ou nos tantes car ils font partie intégrante de nos fossoyeurs. Le combat sera longue et semé d’embuches mais chacun peut et doit se battre à son niveau et avec ses moyens.

Encartés dans l’opposition classique ou pas, membres de la société civile ou simples citoyens , nous sommes tous impactés. Les expériences de pays voisins comme « balai citoyen » au Burkina Faso ou « y en a marre au Sénégal » ont porté leurs fruits. Il ne s’agit pas de faire du copier-coller mais d’une prise de conscience. Pour libérer un peuple, il est impératif que celui le veuille d’abord. Nous devons y croire, créer les conditions de notre liberté et de notre développement. Nous devons effacer de notre langage le « aadi » (normale) à chaque fois que l’on se trouve confronté à une injustice, refuser de prendre les raccourcies quand ils nous arrangent pour ne pas avoir à payer ou à mendier pour obtenir son passeport ou n’importe quel autre service public de droit.

Les partis politiques doivent profiter de ce tremplin car il s’agit là d’une occasion unique dans l’histoire notre pays de mettre les querelles intestines de côté un instant pour continuer à œuvrer dans l’unité et dans le respect de l’ensemble des composantes de cette vague de contestation sans précédent qui a soif de justice sociale, d’égalité et de développement .

La société civile dans toute sa diversité, les artistes de tous horizons et de tous  calibres doivent continuer à apporter leur contribution pour qu’une nouvelle ère puisse voir le jour dans une Mauritanie unie et pacifiée. Batons nous jusqu’au bout et s’il le faut acceptons de nous sacrifier pour éviter de faire porter ce fardeau à nos enfants.

Il y a d’innombrable moyen à disposition pour agir et partager.  La marche en avant est enclenchée, rien ne pourra l’arrêter si ce n’est notre immobilisme et notre inaction alors ne renoncent pas !

LAM Aboubacry

Président du MAPROM

administrator,bbp_keymaster

Leave A Comment

Activer les notifications OK Non merci