POINT DE VUE. L’immense défi des pays du Sahel

Après la chute du pésident malien, Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique, revient sur les grands défis qui attendent les pays du Sahel.

Que faire au Sahel ? La chute du président malien est le signe, peu surprenant, de la décomposition des États de la région, qui sont pour la plupart structurellement instables. Or, on connaît les défis qui se présentent à eux : une très forte croissance démographique – le Niger voisin a le record mondial de fécondité ; des économies officielles peu productives et peu diversifiées ; des problèmes sécuritaires permanents…

Les soldats maliens sont fêtés à leur arrivée sur la place de l’indépendance à Bamako le 18 août 2020. | MALIK KONATE, AFP

Irrespondable de quitter la région

La France ne peut s’en désintéresser et il serait irresponsable de quitter la région du jour au lendemain. Les pays du Sahel – Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad – sont proches de l’Europe. Des communautés françaises y sont présentes, nous y avons des intérêts économiques, la propension migratoire y est forte. Les groupes terroristes, dirigés par des djihadistes convaincus, savent y mobiliser une partie de la jeunesse désœuvrée, ne serait-ce que par attrait des trafics qui les font vivre.

Elle restera donc présente militairement pour longtemps au Sahel. Ce qui ne la dispense pas d’avoir une stratégie de sortie, fût-ce avec un horizon lointain. C’est une nécessité vis-à-vis de l’opinion française, qui se demande parfois si notre engagement sur place depuis 2013 – désormais l’opération la plus longue de nos armées – n’est pas en train de devenir notre Afghanistan. Et surtout, une nécessité pour faire comprendre aux gouvernements locaux que Paris ne sera pas toujours là pour les assister.

La France a ses propres responsabilités

Rien ne se fera au Sahel – ni sur le plan de la consolidation des États ni sur celui de la lutte contre le terrorisme – sans un renforcement des armées locales. Or celles-ci sont peu aguerries et mal encadrées. Les meilleurs spécialistes le disent : il faut des formations internationales plus efficaces et plus homogènes. Qui puissent notamment aider ces armées à lutter contre la criminalité organisée et au désarmement des milices locales, dont le développement est lui-même le fruit de la faiblesse des États.

Rien ne se fera non plus sans une assistance à la construction de l’État de droit et une présence des institutions publiques partout sur les territoires concernés. Ni sans le renouvellement d’un personnel politique souvent inefficace et corrompu. Ni, enfin, sans le concours du voisin algérien, dont l’armée porte une responsabilité importante dans les troubles qui agitent la région, y compris en instrumentalisant certains groupes terroristes.

La France a ses propres responsabilités. Forte de succès sur le plan de la lutte antiterroriste – notamment l’affaiblissement du groupe État islamique – elle doit accompagner la modernisation des États qui, seule, peut conduire à leur stabilisation et à leur développement. Sa politique doit être cohérente : elle donne parfois le sentiment de privilégier les tribus rétives du Sahara, alliés efficaces, au détriment de la cohésion des États de la région.

Restons optimistes

Elle doit veiller à ne pas perdre la bataille « des esprits et des cœurs » : nous devons faire comprendre aux Sahéliens que la guerre contre le terrorisme ne peut être gagnée qu’avec et pour eux. Enfin, elle doit encore trouver les moyens de persuader ses partenaires européens d’accroître leur engagement dans la région, alors que ceux-ci voient encore trop souvent – à tort – dans les efforts de la France une forme d’aventure néocoloniale.

Si elle réussit à relever les défis décrits ci-dessus, la région pourrait contribuer à ce que l’Afrique puisse devenir, au XXIe siècle, un vrai relais de la croissance économique mondiale. Restons optimistes.

(*) Directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique

Ouest France

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