- sileye Ba
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Il y a quelques jours, la chaîne privée El-Wataniya diffusait dans son journal télévisé l’extrait d’un entretien avec Mohamed Ould Maouloud, président de l’Union des Forces pour le Progrès (UFP), dans lequel ce dernier avançait que le terme « négro-mauritaniens est un néologisme utilisé par les F.L.A.M.S dans les années 70 pour inclure les Haratines dans leur combat afin de faire un front contre les Maures ». Présentés ainsi aux téléspectateurs hassanophones, les propos d’Ould Maouloud semblent avoir été instrumentalisés à dessein, ce qui risque de se révéler dangereux, au regard de notre contexte national actuel et de la recrudescence des revendications communautaristes. Afin d’éclairer l’opinion publique, rmi-info.com a sollicité le Docteur Sidi N’diaye, politiste et auteur du livre « Le passé violent et la politique du repentir en Mauritanie : 1989-2012» pour réagir à propos de cette guerre idéologico-sémantique qui refait surface à chaque fois que les concepts négro-africains et négro-mauritaniens sont évoqués par les acteurs politiques. Voici son article en exclusivité.
« Négro-africain » : L’usage du signifiant « négro-africain » fait référence aux populations noires mauritaniennes issues des composantes Halpulareen, Soninké, Wolof et Bambara. La particule « négro » de négro-africains, s’il apparaît aujourd’hui pour certains comme particulièrement insupportable, a pourtant longtemps été convoquée par de larges fractions de la population africaine de Mauritanie pour réaffirmer, revendiquer leurs racines africaines face à un pouvoir accusé, depuis l’indépendance, de travailler à une « arabisation » des institutions politiques et administratives de la Mauritanie. Du reste, cette convocation est encore d’actualité. Quelques discussions informelles avec un de nos enquêtés, victime du régime militaire, vont nous apprendre que l’usage du signifiant « négro-africain » en Mauritanie va surtout se généraliser à la fin des années 1970 et au début des années 1980.
« Négro-mauritanien » : Ce signifiant, dans les milieux militants noirs, va longtemps désigner à la fois les Noirs mauritaniens des quatre ethnies susmentionnées et les Maures noirs (Haratins). Et, selon certains travaux, une raison au moins aurait présidé à la formation de ce signifiant : la nécessité d’inclure la composante Haratine (majoritaire en RIM) à la composante noire africaine afin de s’assurer une majorité démographique, la force du nombre. Et l’on sait combien la composante Haratine a et continue d’être un réel enjeu de lutte entre les différents groupes politiques en Mauritanie (certains travaux sur les Haratines ont bien insisté sur cet aspect). Mais l’on ne comprendrait rien à cette démarche en direction des Haratines si celle-ci n’était pas réinscrite dans le contexte de l’époque, le contexte des années 1980 : celui d’un fort affrontement idéologique entre tenants de la « thèse arabe » de la Mauritanie (baathistes et nasséristes) et tenants d’une meilleure représentativité des populations africaines au sein de la société mauritanienne. Dans les années 1980, l’intérêt que les différents groupes politiques vont porter à El Hor va fortement contribuer à brouiller son identité : structure pro arabe ou pro noir africain. Le brouillage est tel que les dirigeants d’El Hor eux-mêmes finiront par se séparer. Toujours est-il que le premier geste fort sera fait par le parti Baath en direction d’El Hor. Le Baath est convaincu que la Mauritanie ne pouvait en aucune façon être africaine et qu’il était même légitime de refuser aux noirs africains jusqu’à leur appartenance à la nation mauritanienne. En 1982 le baath va donc entreprendre « une étude sur la question haratin (…) Les auteurs de cette étude aboutissent à une conclusion qui ne pouvait laisser indifférent les dirigeants d’El Hor selon laquelle les Haratins constituent la couche laborieuse la plus opprimée en Mauritanie ayant le plus besoin de changement ». Avec ce geste, le parti Baath s’inscrivait aussi dans une stratégie de séduction de l’élite Haratin puisque la cause haratine était dorénavant inscrite sur la liste des préoccupations du parti Baath. La récupération politique bien qu’évidente, était malgré tout acceptée par l’aile pro-arabe d’El Hor. (Voir Ould Saleck). NB : il serait, d’un point de vue scientifique, injuste de placer sur un même plan les revendications de groupes politiques noirs et celles des baathistes et des nasséristes.
Les revendications des groupes politiques noirs, dans les années 80, n’avaient rien d’ « extrêmes ». Il suffit pour cela de relire le Manifeste des FLAM pour s’en convaincre. On ne saurait en dire de même pour les baathistes et nasséristes. N’est-ce pas l’extrémisme des deuxièmes qui a conduit aux tueries des années 80-90 ?
Docteur Sidi N’Diaye politiste