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Sa santé, son futur procès, un éventuel retour en politique, Assimi Goïta et Wagner… Pour sa première interview depuis sa libération, l’ancien président mauritanien n’a éludé aucune question.
11 octobre 2022 à 15:43
Par Justine Spiegel
Mohamed Ould Abdelaziz a toujours été de ceux qui obéissent à leur instinct plutôt qu’à une stratégie élaborée par une équipe de communicants. Après la levée de son contrôle judiciaire le 7 septembre, auquel il était soumis depuis juin 2021, l’ancien président est resté mutique, semblant faire profil bas. Mais ce serait mal connaître ce général fier et offensif, décidé à laver son honneur, envers et contre tous. Alors qu’il devrait être bientôt jugé pour, entre autres, corruption, blanchiment d’argent et enrichissement illicite, il est résolu à faire entendre, coûte que coûte, sa vérité. Reste que, s’il veut être audible, « Aziz » devra se montrer crédible et s’expliquer enfin sur l’origine de sa fortune.
En attendant, son ombre ne cesse de planer sur Nouakchott. Beaucoup craignent encore cet homme à la fois imprévisible et qui ne laisse rien au hasard, arrivé au pouvoir à la faveur d’un coup d’État en 2008, élu en 2009, réélu en 2014, avant de renoncer à briguer un troisième mandat. En France depuis le 22 septembre, il a surpris les observateurs en réservant sa première apparition publique (qui s’est soldée par l’intervention de la police) à la diaspora mauritanienne de Bordeaux, auprès de laquelle il est allé défendre son bilan.
En ce vendredi d’octobre, c’est à Paris qu’il poursuit, non sans risque, son opération réhabilitation sans jamais citer une seule fois le nom de son successeur et ancien ami, Mohamed Ould Ghazouani, qu’il estime être à l’origine de sa chute. L’ancien président nous rejoint seul, range son téléphone portable et nous fait face. Mohamed Ould Abdelaziz le sait : son meilleur avocat, c’est lui-même. Entretien exclusif.
Jeune Afrique : Vous sembliez éprouvé au sortir de votre résidence surveillée, le 7 septembre. Vous êtes d’ailleurs à Paris pour passer des examens médicaux après avoir subi un cathétérisme cardiaque il y a plusieurs mois. Comment vous sentez-vous ?
Mohamed Ould Abdelaziz : Je me sens beaucoup mieux que pendant ma détention, j’ai été rassuré par mon médecin, ici à Paris, qui m’a confirmé l’excellence de l’intervention de ses confrères à Nouakchott. Ma santé s’améliore donc, même si je n’ai plus la même force qu’avant mon emprisonnement, durant lequel j’étais stressé.
J’étouffais à cause des privations, je n’avais ni radio ni télévision. Des caméras étaient braquées sur moi et un brouilleur avait été installé pour empêcher toute communication éventuelle. Sans compter que je ne pouvais recevoir aucune visite, en dehors de celles de mes avocats et d’un cadre familial très restreint.
Avez-vous dû donner des garanties à la justice avant votre départ ?
Non, j’ai juste demandé la restitution de mes passeports, ce qui m’a été accordé rapidement. Je n’ai eu aucun entretien, ni avec le pouvoir judiciaire, ni avec le pouvoir exécutif.
À l’aéroport que j’ai moi-même fait construire, on m’a seulement empêché de pénétrer avec mon véhicule dans la zone réservée aux VIP. Mais il n’y a pas de mal, au contraire, ça me fait plutôt rire ! D’ailleurs, en conseil des ministres, on m’avait demandé de le baptiser à mon nom et j’avais répondu qu’il n’en était pas question. Je ne suis pas de ceux qui personnifient les choses.
Votre libération, annoncée pour le 6 septembre, n’a finalement eu lieu que le lendemain. Y a-t-il eu des négociations entre-temps ?
Il n’y en a jamais eu, je n’ai reçu personne et n’ai été contacté par qui que ce soit. Il n’y a pas eu de deal, que ce soit avec l’État ou avec la justice. D’ailleurs, il n’y a pas eu d’enquête sérieuse. Avant même qu’une décision judiciaire ne soit rendue, la police avait vidé mes comptes et gelé tous mes biens, ainsi que ceux de mon épouse, de mes enfants, de mes proches et de certains de mes amis. Ce n’est qu’ultérieurement que le procureur a légalisé tout cela.
Les clés de votre résidence de Bénichab vous ont tout de même été restituées.
Ce qu’il s’est passé là-bas, c’est l’anarchie. J’y possédais des campings mobiles, une Land Rover et une ferme, avec 500 ou 600 palmiers dattiers, dont 200 m’avaient été offerts par un prince émirati. Tout est légal. J’ai commencé à construire en 2003 grâce à une autorisation du ministère de l’Environnement et j’y passais mes week-ends. Or ils sont venus [à la recherche d’argent supposément dissimulé NDLR] et ont saccagé plusieurs pièces. Puis, ils ont fermé et gardé les clés, en laissant tout derrière eux.
J’avais des biches, mais aussi 22 buffles qu’un ami m’avait rapportés du Brésil, dont 3 ou 4 seulement ont survécu. J’avais également 40 vaches, je n’en ai plus que 7 ou 8. Le pivot qui produisait leur alimentation est hors service à cause du vent et n’a pas été réparé. Et il n’y avait plus d’électricité pour pomper l’eau.
Les charges qui continuent de peser sur vous sont très lourdes. Si vous en avez l’opportunité, accepteriez-vous un règlement à l’amiable ?
Ce qui pourra sauver le pays et me sauver en me rendant ma dignité, c’est un jugement. Mais il faudrait que l’État ait le courage de se désengager de cette affaire et de laisser des juges honnêtes s’en occuper. On ne peut pas condamner quelqu’un sans preuve, et il n’y en a aucune contre moi. Il y a beaucoup de choses que je ne peux pas dire car je tiens à protéger mon pays, mais si j’y suis contraint, je parlerai. Si je suis jugé par les mêmes magistrats sélectionnés, je serai injustement condamné et emprisonné. Je ne serais pas surpris et je me suis préparé à cela. Sauf qu’un jour on le reconnaîtra, et j’obtiendrai réparation. Tôt ou tard. C’est pourquoi je reviendrai volontiers dans mon pays.
Donc vous ne vous exilez pas ?
Non, bien que mon médecin m’ait déconseillé, pour des raisons de santé, de rentrer et que plusieurs pays se sont dits prêts à m’accueillir. Donc je vais rentrer, si Dieu me prête vie. Et si je décède entre-temps, je demande aussi à ce que l’on me rapatrie en Mauritanie !
Avez-vous reçu le soutien de certains chefs d’État ?
Non et je n’en ai pas demandé.
Les élections locales ont été avancées à février 2023. Projetez-vous de présenter des candidats sous la bannière de Ribat Al Watani, le parti que vous avez rejoint en 2021 ?
D’abord, je ne comprends pas qu’on organise des élections anticipées alors que l’état civil n’est pas prêt. La plupart de nos cartes d’identité arrivent à expiration et nous n’avons devant nous, paraît-il, que six à sept mois pour les renouveler. Certains n’auront pas les moyens de voter, ce qui laisse présager que l’État ira vers la fraude.
Sans compter que ce scrutin ne reflétera pas le paysage politique car plusieurs personnalités de l’opposition, dont les partis ont été dissous ou jamais reconnus, ne peuvent y participer. Et la plupart des formations autorisées sont favorables au régime.
Comptez-vous y prendre part malgré tout ?
Nous allons participer à ces élections et faire ce que nous pouvons malgré ces handicaps. Soit l’État organise un scrutin libre et transparent, et dans ce cas il sauve le pays mais perd le pouvoir. Soit il prépare des élections truquées et il sera également perdant, mais mettra en danger la stabilité, voire pire, l’existence du pays. Dans les deux cas, il n’a aucun intérêt à tenir des élections aussi rapidement.
Le congrès de Ribat Al Watani aura-t-il enfin lieu ?
On le prépare actuellement. De toute façon, je ne vais peut-être pas m’identifier à un parti, mais je soutiendrai tous ceux qui veulent un changement positif pour le pays. C’est vrai que je suis plus proche de celui-ci car nombre de mes partisans s’y sont retrouvés lorsqu’il nous fallait un cadre politique.
Donc de nouvelles alliances sont envisageables, avec Biram Dah Abeid par exemple ?
Il n’en est pas question, car je suis pour le changement pacifique.
Vous envisagez un retour en politique, mais vous devriez au préalable être jugé. Et vous allez devoir enfin répondre à une question cruciale : comment vous êtes-vous enrichi ?
C’est la question que tout le monde me pose ! Je ne suis pas le seul à avoir de l’argent en Mauritanie et on ne demande de comptes qu’à moi. Le jour venu, face à la justice, je m’expliquerai. En attendant, je n’ai pas à répondre à n’importe qui de l’origine de mes biens.
Selon des fuites de l’enquête, votre fortune serait estimée à 90 millions de dollars acquis illégalement, et on évoque aussi un important patrimoine immobilier.
Ces chiffres sont astronomiques, car ils ont surestimé la valeur des maisons qui m’appartiennent, mais aussi de celles qui ne m’appartiennent pas. Parmi mes propriétés privées, il y a des fermes que j’ai fait construire il y a plus de vingt ans et qui n’ont aucune valeur financière, mais une très grande valeur symbolique à mes yeux.
Je ne les vendrai en aucun cas, pas même pour 100 millions, car je les ai développées à la sueur de mon front et j’y ai planté moi-même, quand j’étais jeune officier, mes premiers palmiers en 2003. Les prix de véhicules, dont les provenances sont connues, ont aussi été gonflés. Même le directeur de la police chargée des crimes économiques l’a reconnu à l’époque devant moi.
Ces révélations ont tout de même choqué l’opinion et sérieusement écorné votre image…
Forcément, quand on dit que j’ai pillé le pays et que certains croupissent dans la misère, c’est normal. Sauf que tout ceci est orchestré par l’État, ainsi que par les services de police et de sécurité. C’est une affaire politique !
Vous estimez donc n’avoir absolument rien à vous reprocher quant à votre gestion ?
Absolument rien et je défie quiconque, Premier ministre, ministre ou directeur, de prouver qu’il a reçu un ordre de ma part contraire à la loi. Je n’ai jamais eu non plus à accorder un marché de gré à gré, ce n’était pas de mon ressort, il y a des structures administratives pour cela. Quand on commence à éplucher les dossiers, on réalise vite que tout a été fait par incompétence et ignorance.
Prenez par exemple la ligne électrique Nouadhibou-Nouakchott. Lorsque j’étais président, j’ai fait gagner à l’État 38 millions de dollars sur ce marché de 148 millions de dollars. Et on dénonce maintenant une affaire de corruption ! Prenez également l’aéroport. Le nombre d’hectares de terrain que j’ai cédé ne représente pas même 5 à 10 % de ce que l’un de mes prédécesseurs a vendu sans contrepartie pour des sommes modiques, à 200 ouguiyas le mètre carré. Enfin, on me reproche d’avoir cassé les « blocs », de vieux bâtiments qui s’effritaient, mais ils étaient dangereux. Là encore, j’ai fait gagner 6 milliards d’ouguiyas au pays. Et on parle de pillage de biens publics ?
Pourquoi n’avez-vous pas expliqué cela aux enquêteurs ?
Écoutez, ils m’ont présenté douze commissaires de police que j’ai récusés immédiatement, car le commissaire adjoint de la sûreté était avec eux et il n’avait rien à voir avec cela. Seuls les officiers de police judiciaire désignés par le procureur peuvent me poser des questions. Reste que je ne collabore pas avec eux car je suis totalement protégé par l’article 93 de la Constitution [qui prévoit l’immunité présidentielle, NDLR]. On leur a juste dit d’enfoncer le monsieur pour des raisons politiques, c’est tout.
Comment espérez-vous vous racheter auprès des Mauritaniens ?
La plupart n’ont jamais cru à cela, je n’ai aucun problème avec l’opinion. Quand je sortais à Nouakchott, dans les marchés ou au stade, j’étais le seul président qui osait se promener à pied, sans escorte. J’ai quitté le pouvoir et cela continue.
Si vous en aviez la possibilité, referiez-vous les choses différemment ?
Non, car je demeure convaincu de la justesse de tout ce que j’ai fait. On ne réussit pas toujours ce que l’on ambitionne et c’est tout à fait normal. Mais j’ai agi avec conviction.
Vous étiez parmi les initiateurs du G5 Sahel. Compte tenu de l’évolution de la situation sécuritaire dans la région, faut-il le relancer ou est-ce peine perdue ?
On doit tout tenter pour régler les problèmes car si l’on se résigne, le pire va arriver. Avec beaucoup d’efforts et de tact, on pourrait raisonner les Maliens. S’ils s’entendaient d’abord entre eux, cela faciliterait les choses.
Mais qui peut encore aujourd’hui raisonner Assimi Goïta ?
Il y a une perte de confiance, c’est vrai que c’est difficile. En s’engageant aux côtés des Russes, il s’est éloigné de ses collègues africains, mais on peut toujours trouver le moyen de le convaincre. D’autres sont aussi dans l’impasse, il y a eu un deuxième coup d’État au Burkina Faso et la Guinée n’est pas dans une meilleure situation. Mais il faut s’efforcer de comprendre ces gens, de discuter avec eux pour essayer de sauver la région.
La Mauritanie a-t-elle un rôle particulier à jouer ?
Bien sûr, de par son passé, ses liens et sa proximité avec le Mali. Elle risque d’en souffrir, car les terroristes ne connaissent pas de frontières, ils sont unis alors que les États ne le sont pas. Je ne suis pas satisfait de l’action diplomatique du pays, on est pratiquement anesthésiés, on ne s’exprime pas, on ne se déplace pas. On ne nous entend plus.
Votre successeur Mohamed Ould Ghazouani a-t-il eu raison de ne pas s’aligner sur les positions de la Cedeao vis-à-vis de Bamako ?
J’aurais fait la même chose pour rester en contact avec les Maliens et ne pas étouffer 15 millions d’habitants, car ça n’aurait pas servi la région. On doit leur faciliter la vie, ce sont des voisins. Tous les problèmes qu’ils endurent vont se répercuter sur toute la région.
Dans l’armée mauritanienne, peut-il y avoir un Goïta, un Doumbouya ou un Traoré ?
Il ne faut rien exclure, on peut s’attendre à tout.
Pour finir, le groupe privé Wagner peut-il se déployer à Nouakchott ?
Pas dans le pays que j’ai laissé. De mon temps, il n’y avait même pas de Français, on a traité nous-mêmes nos problèmes de sécurité, avec nos moyens limités. Je ne souhaite pas que Wagner ou qu’un autre pays viennent faire le travail des Mauritaniens car personne ne peut le faire mieux qu’eux.
J.A