Les rapports coloniaux nord /sud, causes et conséquences : Tentative de réflexion. Dr. SAO Ousmane

« Non nous ne voulons rattraper personne. Mais nous voulons marcher tout le temps, la nuit et le jour, en compagnie de l’homme, de tous les hommes. Il s’agit de ne pas étirer la caravane, car alors, chaque rang perçoit à peine celui qui le précède, et les hommes qui ne se reconnaissent plus, se rencontrent de moins en moins, se parlent de moins en moins. Il s’agit pour le Tiers-Monde de recommencer une histoire de l’homme… », Frantz Fanon.

 

Plus le temps passe, plus la réflexion s’apaise et s’approfondit et plus on mesure que la colonisation a été un épisode majeur de l’histoire des relations internationales. Bien qu’elle soit considérée en gros comme révolue, les conséquences sont loin d’en être effacées. L’observation des rapports nord/sud dans leurs aspects actuels nous montre qu’il en subsiste maintes séquelles, notamment sur le plan psychologique, ce dernier étant peut-être au fond celui qui irrigue tous les autres. Tout laisse comprendre que l’empreinte coloniale constitue la note maitresse qui commande l’ambiance polyphonique des rapports nord/sud depuis qu’ils ont commencé à se nouer jusqu’aux difficultés récentes qu’ils traversent.

C’est de la colonisation et de ses conséquences qu’est née la dialectique entre aspiration de l’indépendance et nécessité de la coopération, liaison dont une réflexion plus poussée atténue le caractère paradoxal qu’on lui suppose à première vue. A quoi s’ajoute la distinction entre fournisseurs et pays destinataires de l’aide qui apparait à l’origine comme l’expression de relations dérivées directement des liens coloniaux, même si depuis lors cette distinction s’est considérablement nuancée et diversifiée du fait de la multiplication des pays fournisseurs d’aide.

​De ces rapports coloniaux découlent une donnée primordiale, celle qui à notre avis a le plus profondément influencé l’évolution des rapports nord/sud.

Entre colonisation et inégalité de développement, il existe une corrélation qui joue dans les deux sens : la colonisation ne s’explique pas complètement si l’on ne prend pas en considération l’inégalité de développement préexistante entre futurs colonisateurs et futurs colonisés, mais en retour elle a aggravé ces inégalités sur bien des points en dépit d’apports inestimables qu’on ne saurait nier. 

De plus, cette corrélation entre situation de fait a entrainé une corrélation conceptuelle : dans la plupart des sciences humaines, les deux notions de colonisation et d’inégalité ne sont rien d’autres de l’avers et le revers d’un et même phénomène historique. C’est cette liaison essentielle qu’ontressentie plus ou moins consciemment, les élites et les peuples des pays colonisés et cela dans tous les domaines où leur vie rencontrait celle du colonisateur : le politique, l’économique, le social, le culturel, le juridique et peut-être davantage celui des relations humaines.

Où en est-on donc aujourd’hui et vers quoi va-t-on ?

Avec les crises qui secouent le monde (crise alimentaire, crise énergétique, crise financière, crise écologique, voir même les crise culturelles et cultuelles) font que les problèmes ne peuvent même plus être posés exactement dans les mêmes termes qu’il y a 3 ou 4 ans. Des solutions nouvelles doivent être trouvées, et quoi qu’en pensent les contradicteurs, il faudra bien mettre ses solutions dans un droit nouveau, efficace et effectif. Cependant à regarder de plus près, ces crises ne se présentent que comme la continuation et l’aggravation de toutes celles qui ont procédé depuis les années 70. La seule différence notoire réside dans l’entrée en scène spectaculaire des grands pays émergents. Mais si les données concrètes ont changé, la subsistance profonde des problèmes à résoudre est quasiment le même : il s’agit toujours du rapport dominant dominé. 

Les crises actuelles peuvent perpétuer les blocages, ou déboucher dans des conflits aux conséquences imprévisibles. Mais elles pourraient ouvrir la voie à des compromis susceptibles d’aboutir un jour à une régulation mondiale digne de ce nom.  

Des lois, avec un peu de sagesse et d’esprit d’ouverture, la communauté des nations pourrait édifier un nouveau droit de développement accepté comme tel et accepté par tous car élaboré par tous. Ce droit devrait évidemment être toujours prêt aux adaptations qu’exigent des situations en mouvement perpétuel, et il devrait aussi être appelé à devenir pour l’essentiel la loi des rapports nord/sud aussi longtemps que perdurera le fléau du sous-développement.

Nous avons hélas beaucoup d’illusions sur les chances de réalisation de cette vision qui relève pourtant d’un élémentaire bon sens. Mais comme on ne cesse de le répéter depuis des siècles, il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre.

Docteur Ousmane Sao

 

Pierre Chaunu, Conquête et exploitation des nouveaux mondes, PUF, Paris, 1969

Giuliano Gliozzi, Adam et le Nouveau Monde. La naissance de l’anthropologie comme idéologie coloniale : des généalogies bibliques aux théories raciales (1500 – 1700), 2000.

Ruggerio Romano : Les Conquistadores, les mécanismes de la conquête coloniale, Paris, 1972

Bartolomé Diaz de las Casas, Brève relation de la destruction des Indes (1552)

Bernal Díaz del Castillo, L’Histoire véridique de la Conquête de la Nouvelle Espagne 2009

Vincent Joly, Le Soudan français de 1939 à 1945 : une colonie dans la guerre, éditeur Karthala, 

Sven Lindqvist, Exterminez toutes ces brutes, éd. Des Arènes, Paris, 2006

Frantz Fanon, Les Damnés de la Terre, La découverte, 1961

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