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Et si des faits similaires, aussi graves, s’étaient déroulés en Palestine ou au Brésil pays emblématique de la confiscation illégitime des terres indigènes avec Jair Bolsonaro? Des flots de réactions et de condamnations internationales auraient inondé. Eh oui! Mais chez nous, seuls les partis politiques reconnus ou pas dits de « mouvance négro-africaine » ostracisée, qui sont pourtant tous des organisations politiques avec un projet global pour une Mauritanie juste, généreuse, une vision internationale cohérente, et l’UFP ont clairement condamné la confiscation de terres agricoles et la dispersion violente de la manifestation pacifique organisée le 22 février 2021 par les habitants spoliés du village de Ferallah, de Mbagne et ses environs. Silence radio pour les autres à notre connaissance.
Les autres partis politiques ne semblent préoccupés que par un possible dialogue national ou une concertation avec le pouvoir. Ils n’ont rien vu, rien entendu. Alors, aucune condamnation connue ou rendue publique sur Ferallah. Nous espérons nous tromper. Rien ne doit gêner ou fâcher le taiseux sultan « double face » qui sait se montrer généreux avec des amis de circonstance. La connexion avec la question nationale et le racisme systémique y est certainement pour quelque chose.
Décryptage de la chaîne du Grand Effacement
Les confiscations récurrentes de terres agricoles ancestrales ont pour cadre le Sud mauritanien, espace vital et terrain de jeu du pouvoir éliminationniste et négrophobe du pays. Le Land Act à la sauce mauritanienne est le fait de l’Etat d’Apartheid sahélien qui sévit en Mauritanie et y a implanté patiemment, dans l’indifférence quasi générale, un système de discrimination raciale des plus sophistiqués. La cible en est les populations négro-africaines, soumises depuis des décennies à des politiques successives mais constantes d’indigénisation conduites dès l’indépendance du pays. L’ethnocide culturel a été le point de départ de la dynamique d’effacement planifiée et mise en œuvre ensuite avec minutie. Il a été mené et a culminé avec une maestria qui n’a de comparable que son cynisme. La suite était prévisible. Les citoyens ou plutôt les « indigénisés» sont progressivement effacés de l’espace public, de la fonction publique au moyen d’une arabisation assimilatrice.
Le général Mohamed Ould Ghazouani, homme du sérail et acteur discret mais déterminé du système d’apartheid sahélien, fut le maître d’œuvre méticuleux du blanchiment des forces armées quand il en était le chef militaire. Il y a conduit avec minutie une entreprise de gommage systématique. Comme chef de l’Etat, il s’est « révélé » un spécialiste des nominations et promotions monocolores. Il est, en la matière, un adepte du grand chelem. Il est désormais habituel que les vagues de nominations ou de promotions des cadres profitent exclusivement à des personnes de la même ethnie et de la même couleur de peau. Racialo-ethnocentrées!
Les Négro-mauritaniens invisibilisés sont ensuite balayés des leviers et centres de décisions de toutes les institutions qui comptent : de l’armée dite nationale à toutes les forces de sécurité du pays en passant par la magistrature. « Nous avons tout ce que vous n’avez pas : l’argent, les armes et le pouvoir» fanfaronnait récemment, non sans raison, un de ces amateurs de l’effacement final dont le pays regorge. Ceux-là ne demandent qu’à en découdre sûrs d’avoir la force d’anéantissement de leur côté.
En attendant, pour les nouveaux indigènes, l’humiliation et les vexations en toute impunité sont monnaie courante. Révélatrice à cet égard est la mésaventure subie il y a peu par un élu dont de simples agents de police ont refusé d’enregistrer la plainte au prétexte qu’il ne parlait pas le Hassaniya, langue de la classe dominante. Des anecdotes de ce type sont légion. Au-delà de ces petites humiliations, il y a tout lieu de s’inquiéter car le pire est à venir. L’irréparable est programmé. Après les pogroms, les déportations massives de citoyens négro- africains à la fin des années 1980, le pouvoir raciste a désormais changé son fusil d’épaule. Dans un texte récent, intitulé Administrer c’estprévoir, un sbire du pouvoir explique comment, en 1988, peu avant les déportations, il avait été missionné par le puissant ministre de l’intérieur de l’époque, Djibril Ould Abdallahi alias Gabriel Cimper, l’un des artisans zélés de ces déportations, pour «actualiser la monographie des villages situés de part et d’autre du fleuve». L’on devine aisément à quoi a servi la sinistre cartographie.
Désormais, le pouvoir racialo-ethnique a opté pour le Grand effacement des Négro-africains mais à bas bruit et, si possible, « en douceur». L’objectif reste identique. Seule la méthode change. Il s’agit d’écoeurer, de harceler, d’humilier constamment les parias de manière à leur rendre le pays invivable et de faire en sorte qu’ils partent d’eux-mêmes. Ce qu’on a appelé le génocide biométrique s’inscrit exactement dans ce cadre. Rappel: prétextant des opérations dites d’enrôlement des populations, les autorités et leurs agents ont multiplié les tracasseries et les vexations en tousgenres pour dégoûter les candidats mauritaniens négro-africains à l’enrôlement. Une raideur qui n’a d’égale que la facilité avec laquelle des naturalisés de fraîche date mais de la bonne couleur obtiennent leur enrôlement.
Victoire symbolique de Ferallah et amorce d’un mouvement citoyen ma terre, ma vie!
Dans ce contexte global, les confiscations des terres des paysans du sud, loin d’être un épiphénomène, font figure d’illustration d’une dynamique globale. Après Dar El Barka l’année dernière et d’autres villages négro-africains avant, les événements récents de Ferallah dans le département de Mbagne prouvent que le pouvoir racialiste poursuit avec minutie sa politique de génocide par substitution. Mais le Remplacement suppose au préalable l’effacement. Or quelle meilleure manière de vider un village de ses habitants que de confisquer les terres de ceux-ci avec lesquelles ils font corps depuis plusieurs générations?
A Ferallah, on nous parle de mise en valeur des terres et de travaux de réhabilitation de 25 hectares de la plaine de Koylal dans le cadre du projet d’appui à l’initiative pour l’irrigation au Sahel financé par la Banque mondiale. Cet objectif louable dans d’autres pays est détourné ici par les autorités sur fond de spoliations de populations autochtones et d’expropriations de terres. Ces mêmes autorités obsessionnellement racistes poussent le bouchon jusque dans la substitution des noms ancestraux ayant une forte charge historique, culturelle et identitaire par des noms arabes plaqués artificiellement du genre coopérative Ibn Khaldoun sans lien historique avec le village de Ferralah, les provinces concernées du Yirlaa6e ou du Hebbiyaa6e.
Il est à cet égard réjouissant de constater que la Banque mondiale, à travers ses représentants à Nouakchott, ait pris conscience des enjeux réels de ce qui se trame et plus généralement de ceux liés à la question foncière. Elle rappelle dans un communiqué daté du 26 février 2021 que « la protection des droits des communautés ainsi que la préservation de l’environnement occupent une place centrale dans ses activités liées à des projets d’investissement». La Banque mondiale devra être attentive quant à l’accompagnement de ces projets. Elle doit se rappeler que, au lancement du programme de l’OMVS, c’est sur ses recommandations/injonctions à favoriser l’investissement privé que l’Etat mauritanien, jusque-là peu enclin à accompagner la mise en valeur de la vallée qui a ses yeux profiterait aux seuls paysans noirs du Sud, édicta dans la précipitation la plus totale une reforme foncière donnant la part belle à l’entrepreneuriat privé (maure, il faut le dire). On connaît les tensions qui allaient en naître. Près de quarante ans après, l’institution de Bretton Woods, ainsi avertie, devrait veiller à ne pas être complice une énième fois d’un projet politique cynique d’expropriation. Ce serait l’inverse de sa mission.
Grâce à la mobilisation des vaillantes populations de Ferallah, le rouleau compresseur des dépossessions et de l’Effacement final peut être arrêté. Pour combien de temps? Fort de cette victoire symbolique assistera-t-on, comme au Brésil, à la naissance d’un mouvement des sans terre?
Ciré Ba et Boubacar Diagana – Paris, le 03/03/2021