De la dictature à la révolution citoyenne

L’histoire politique et sociale de la Mauritanie est marquée par des alliances, des consensus et des tragédies. Elle est soutenue par une profonde sensibilité aveugle et démesurée qui ternit ses conquêtes fabuleuses et ses aventures fédératrices et fondatrices de nos sociétés actuelles. Elle a une dette légitime envers nos aïeux, envers nous et à nos futures générations. Cette dette trouve de plus en plus sa légitimité et sa cohérence dans nos manières de comporter face à nos passés communs et désastreux. Nous avons connus des époques tragiques. Elles ont déchiré des familles entières, instauré un traumatisme profond dans les consciences et une méfiance entre les différentes composantes sociales qui reflètent l’image de notre pays et ses blessures profondes. Ces malheureuses époques étaient caractérisées par des idéologies arabo-nationalistes dévastatrices qui continuent d’alimenter des divergences inexistantes entre un peuple qui partage des mêmes origines, des mêmes croyances religieuses et des mêmes traditions. Bien que des sensibilités et des passions aient alimenté notre histoire, des esprits éclairés et des hommes fabuleux ont laissé leurs empreintes sur cette dernière.

Chaque époque de notre histoire était une palissade de défis à relever et des enseignements à transmettre de générations en générations. Ces enseignements nous apprennent à nous relever devant tout obstacle et à réfléchir sur nos manières de nous comporter face à l’histoire, face à nos enfants et face à Notre Nation. Nous traversons une époque turbulente. Une sombre époque incarnée par une classe dirigeante incompétente et anarchiste qui continue d’alimenter des rivalités, de plonger le peuple dans le chaos et de lui imposer une vision réductrice de la société mauritanienne. La Mauritanie est fragile. Elle se cherche de jour en jour. Elle se cherche dans nos luttes et elle s’identifie dans nos idéologies fédératrices. Elle était belle, rayonnante et souriante. Son image s’assombrit chaque seconde qui passe. Elle se plonge dans le désespoir et peine à se relever pour affronter son destin. Cette Mauritanie c’est Toi, c’est Lui, c’est elle. Cette Mauritanie  c’est cette femme qui pleure depuis trente ans l’assassinat de son mari, c’est cet homme déchiré par la misère, c’est cet enfants errant dans nos ruelles mortes, c’est ce vieillard apatride qui ne pourra jamais revoir les terres de ses ancêtres, c’est ces hommes emprisonnés dans le désespoir…Cette Mauritanie c’est le PEUPLE.

Nous traversons l’une des époques les plus sombres de notre histoire politique et sociale. Les politiques n’accordent aucune importance aux cris de détresse du peuple. Ils continuent à l’étouffer dans un labyrinthe sans issu. Un labyrinthe instauré pour le rendre dépendant, pour lui enlever toute autorité et pour le maintenir dans une ignorance profonde de son pouvoir et de sa force.

La politique est une discipline, un art et une « machine » à exaucer les revendications et les aspirations du peuple à travers une élite consciente et prudente. La politique est un art. Un art de communication et de convaincre avec des propositions fortes et solides qui prennent en considération l’opinion populaire. La politique est l’affirmation de nos choix, de nos visions et de notre volonté de transformer la société pour mieux la guider. Le peuple est le sujet fondamental des politiques. Il possède en lui la totalité des privilèges. Il devrait en aucune façon se soumettre aux désirs malsains des politiciens, de subir des politiques d’instrumentation pour des fins personnelles et l’exploitation de ses faiblesses pour des raisons nationalistes, discriminatoires, dangereuses et contre ses convictions religieuses et morales.

L’histoire politique nous livre des secrets sur les manières de résister, de s’affirmer et de s’imposer. Ces dernières années, des régimes politiques brutaux entaillés par l’ancienne puissance  coloniale au fauteuil présidentiel se sont effondrés devant la détermination, le courage et la volonté du peuple. L’effondrement du bloc soviétique et la volonté du peuple d’intégrer les principes de modernité politique au sein de leurs systèmes politiques, ont généré des situations où le peuple devient maitre et garant de sa liberté. Ces affirmations de la volonté populaire se sont imposées en Tunisie, en Egypte, au Burkina Faso, en Birmanie (la révolte des moines), en Serbie qui a conduit au renversement de Milosevic…Cette volonté non-violente de vouloir s’affirmer et exposer sa puissance, a fait échouer des tentatives en Turquie en juillet 2016 et dans des Etats de l’ancienne Union Soviétique au début des années quatre-vingt-dix. Bien que ces révolutions populaires aient chassé des dictateurs, l’injustice continue de faire loi, la misère continue son chemin et le peuple devient de plus en plus dépendant et faible comme la Libye, l’Iran, l’Egypte…D’autres pays comme la Tunisie, la Turquie, ont étouffé la violence et ont fait progresser la démocratie.

 La dictature est une imposture. Une imposture qui maintient le peuple dans l’ignorance, dans la misère, dans la soumission et dans l’incapacité de s’organiser pour lutter pour sa dignité, pour son indépendance et pour sa liberté. Elle étouffe le peuple, le déshumanise et le terrorise. La Mauritanie vit une dictature. Une dictature brutale qui empêche le peuple de s’affirmer, d’exister et d’être maitre de son destin. Ces lignes ont pour objectif de réveiller les consciences populaires et de poser les bases d’une révolution citoyenne. Une révolution citoyenne intelligente soutenue par des stratégies non-violentes. C’est en effet le moyen le plus légitime de lutter contre la dictature mauritanienne et d’instaurer un Etat respectueux des droits humains, démocratique et plus tolérant.

Les révolutions sont les manifestations des volontés populaires contre l’injustice, l’exploitation, la terreur et la misère. Une révolution citoyenne puise sa force dans la détermination du peuple de se posséder eux même. La sociologie politico-historique admet deux sortes de sociétés ou de gouvernance : Une société où les gouvernants ont peur du peuple et une société où le peuple a peur de ses gouvernants. En Mauritanie, la deuxième affirmation prend tout son sens. Elle prend corps et âme dans nos manifestations, dans nos manières de penser, de vivre et de communiquer. Cette peur est un frein. Un frein qui devrait se transformer en moteur. Un moteur de changement et une arme contre la violence de la police politique. Nous avons vu que des actions non-violentes ont chassé des dictateurs qui se croyaient puissants, solides et invincibles. Aristote remarquait déjà « …Oligarchie et tyrannie ont une durée extrêmement brève1.». Tout pouvoir incarne en lui des faiblesses et des failles qui pourraient être exploités par le peuple. « L’histoire récente démontre la vulnérabilité des dictatures et révèle qu’elles peuvent s’effondrer en un temps très court : S’il a fallu dix ans (1980-1990) pour voir tomber la dictature communiste en Pologne, en Allemagne de l’Est, et en Tchécoslovaquie, en 1989, il a suffi de quelques semaines. Au Salvador et au Guatemala, en 1944, les luttes contre de terribles dictatures militaires durèrent environ deux semaines. Le puissant régime du Sha d’Iran fut ébranlé en quelques mois. La dictature de Marcos aux philippines s’écroula face à la puissance du peuple en l’espace de quelques semaines en 1986…2».

Ces exemples de révolutions et de renversements des dictatures cruelles montrent que la dictature mauritanienne ne pourrait en aucune façon supporter la pression populaire, les revendications d’un peuple mûr, intelligent et refusant toute imposture et toute domination illégitime. Le pouvoir d’un tyran n’a de légitimité que par le consentement du peuple et par sa soumission.  Le pouvoir mauritanien est issu d’un coup d’Etat qui a renversé un Président démocratiquement élu. Il n’est légitime que dans leur mensonge et il ne devrait en aucune façon s’exprimer au nom de la Nation mauritanienne. Sentant les faiblesses du peuple et son emprise sur ce dernier, Ould Abdel Aziz orchestre cette fois-ci un coup d’Etat constitutionnel en faisant adopter des modifications de la constitution après le refus des sénateurs. Ce referendum était une mascarade, une instrumentalisation soutenue par certains sénateurs et parlementaires qui ne pensent qu’au poids de leurs poches et non à la dignité des citoyens qu’ils représentent. Un referendum est un fait politique majeur et un des piliers de la démocratie. Il exprime la volonté populaire par une consultation juste et légitime. Ces dernières années, la dignité des noirs mauritaniens est de plus en plus bafouée et piétinée. Les recensements administratifs qui ont débuté en 2011 est un des exemples majeurs qui délégitiment ce referendum parce qu’une grande partie de la population mauritanienne est exclue.

Notre pays est dirigé par un extrémiste. Un homme aux idées sombres, dévastatrices et dangereuses pour l’Unité de notre pays et pour une cohabitation apaisée entre les communautés. Il divise le peuple, condamne des opposants politiques, des militants anti-esclavagistes, soutient des esclavagistes, réprime des marches pacifiques, généralise la corruption, nie la citoyenneté des noirs mauritaniens et instaure un climat d’insécurité et de tension. Il est le premier ennemi de la Nation. Notre Nation est fracturée par des rivalités et des tensions. Des rivalités entre des communautés conditionnées à se détester  et des régions hostiles l’une envers l’autre. Ould Abdel Aziz soutient ces rivalités et monte les citoyens les uns contre les autres. Il prend le pays en otage, terrorise les représentants du peuple et bloque nos institutions. Et nous savons qu’un Etat avec des institutions fragiles et instables est un Etat faible dont l’avenir est incertain.

Nous n’avons que deux choix possibles : Suivre les mêmes hommes qui fragilisent le pays de jour en jour où se mobiliser pour notre dignité, lutter pour une Mauritanie démocratique et bâtir ensemble un pays de justice, d’égalité et de fraternité.

KIDE Baba Gallé

Références bibliographiques :

  • Aristote, La Politique, Paris, Editions Vrin 1995. Cité par Gene Sharp dans De la dictature à la démocratie, un cadre conceptuel pour la libération, Paris, l’Harmattan 2009, page 38.
  • Gene Sharp, De la dictature à la Démocratie, un cadre conceptuel pour la libération, Paris, l’Harmattan 2009, page 38.

    

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