S’enivrer de voix nationales pour s’évader de la fourberie

L’âme vêtue du seul aspect qui peut compétir avec l’égoïsme admirable de l’animal: la mélancolie, je m’abandonne à la voix de Khalifa ould Eide comme un Peul solitaire, de la rive droite abandonnerait son âme à la quiétude du fleuve. Avec les voix nationales, j’ai longtemps partagé une intimité, un lien plus profond que la fraternité, un attachement que l’on voue à un être qui vous délivre d’un réel illisible dont la voix est un refuge, un îlot dans lequel seuls vos deux humanités comptent. Khalifapsalmodie avec sa tidinit: “Paix sur une tombe que l’on visite de loin…” Quelle extase.

Grande complicité comme celle que partage le lecteur avec le poète quand l’ensemble des vers constituent un habitat pour l’esprit du premier. Ces voix participent à la composition du chant universel sans cet effort qui tente d’ordonner l’art. Ces voix simples sont idéales pour s’évader d’une fourberie grandiloquente qui absorbe l’identité d’un pays. S’enivrer de voix nationales est idéal lorsqu’on vit sur une terre où l’homme a peu de sens à condition qu’il regroupe certains critères matériels et génétiques. Bref il a peu de sens ici. L’écoute d’une voix du pays pourvu qu’elle soit nasillarde comme celle de Khalifa est le pansement salvateur. Il s’agit d’une évasion quand on subit la morosité d’un pays où les hommes ne se connaissent pas. Des nuques qui se font face, des regards posés sur des vues différentes. L’excès de fourbes crée de l’apathie et de la lâcheté. On ne se bat plus, on attend. L’évasion que je prône a l’air légère insignifiante et lyrique : écouter de la musique locale alors que l’essentiel se noit est une bêtise mais hélas la fourberie est tenace et les voix locales regroupées “font nation”. La fourberie est victorieuse face à la réalité, un tsunami, elle a détruit sur son passage la vérité et l’essentiel. Elle vogue sur les cieux, elle est silencieuse presque imbattable. Elle a conquis la terre des poètes. Elle habite des hommes qui ne voient pas d’hommes en d’autres hommes, des hommes qui considèrent Dieu comme un chef de communauté qui a des préférences ethniques et tribales, solidaire à la hiérarchie des castes. Elle est dans toutes les sphères, elle s’est infiltrée partout, elle s’illustre de plusieurs manières: L’illustrateur ultime est l’Etat dénué de vision, face à son défi imminent: “Faire nation” et assumer le slogan ambitieux qu’il s’est choisi. Un État qui prétend vouloir Dieu mais qui ne fait pas régner sa justice sociale dans sa cité. Un État, un groupe d’existants qui dirigent sans convictions fortes ou un monstre porteur de prérogatives qui ne se fait guère entendre et attendre. Il reste de marbre devant le patrimoine du pays. Une partie de l’histoire universelle et de l’errance humaine dort de Bilad Chinguitt à Koumbi Saleh. Richesse imminente inexploitée.

Elle s’illustre dans les mosquées où un ensemble d’êtres se prosternent, leurs corps parlent la même langue pour adorer le Dieu créateur. Des êtres qui sortiront des mosquées pour regarder ailleurs, plongés dans leurs poncifs, dans leurs communautés respectives, dans leurs espaces et imaginaires où l’autre n’existe pas.

Elle s’illustre à travers les cris sourds, ceux des complexés, des exicisées, des âmes asservies depuis leur naissance, des jeunes filles gavées, des militants humiliés.

“Ici personne n’a le monde comme langage.”

La Fourberie, c’est chanter une nation multiculturelle pour colorer une existence virtuelle, sans jamais y croire. La Fourberie c’est vouloir Dieu dans la féodalité, dans le tribalisme, dans l’inculture.

Tout le vivant est une célébration, je m’accroche aux voix nationales car elles ont compris! Parmi ces voix il y’a celle qui chantonnait “ Wanter” à travers les hauts parleurs du marché de la capitale dans un Nouakchott des années 2000 rouge de poussière, doux, qui s’envolait intimement avec le temps. Les voix nationales comptent.

L’homme se relèvera-t-il jamais du coup mortel qu’il a porté à la vie ? s’interrogeait Cioran dans Syllogismes de l’amertume.

Aissata Ahmed Bal “ Até Aycha”.

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