PEULS, CHAPITRE III : EXIL

RESERVE DE KACHIA, NIGERIA

Prises au piège des violences, accusées de tous les maux, les familles peules qui vivaient en harmonie avec les communautés chrétiennes ont plié bagage les unes après les autres, rassemblé leurs bêtes et pris le chemin de l’exil.

KACHIA

18.000 DÉPLACÉS

Les Peuls restent perçus comme des “envahisseurs”: un peuple réparti sur une quinzaine de pays, du Sénégal à la Centrafrique qui se joue des lois comme des frontières, pour lequel le troupeau aurait “plus de valeur qu’une vie humaine”. 

Pourtant, ils sont aussi victimes de tueries à grande échelle, comme en février 2019, lorsque 130 d’entre eux ont été massacrés dans l’Etat de Kaduna (nord du Nigeria) en une seule nuit.

Pour les rencontrer il faut s’enfoncer dans la savane boisée, à la limite de la région du Plateau, dans la réserve pastorale de Kachia: un îlot de sécurité au milieu de terres brûlées.

Ils seraient 18.000 déplacés, mais la réserve se peuple au fil des vagues successives de violences. “Il n’y avait rien ici quand on est arrivés, juste la brousse”, explique d’un air las l’unique médecin, Idriss Jamo. “Personne n’atterrit ici par choix”.

Hormis les cinq prières quotidiennes rythmant la vie de la communauté, le marché et le terrain de foot qui s’animent lorsque le mercure des 40 degrés commence à tomber, vers 18 heures, sont les seules distractions.

Il n’y avait rien ici quand on est arrivés, juste la brousse.

IDRISS JAMO
Médecin de la réserve

ISA IBRAHIM

BERGER À TEMPS PARTIEL

Le village n’a pas d’accès Internet. Pas de réseau téléphonique pour communiquer avec l’extérieur. Pas même d’électricité. 

Isa Ibrahim est berger à temps partiel. Le reste du temps, il est chauffeur d’Okada. Ces motos chinoises bon marché sont les seuls moyens pour les jeunes désœuvrés d’échapper à l’ennui. De s’échapper tout court.

Isa est né à quelques dizaines de kilomètres de là, quand la vie tournait encore entièrement autour du troupeau. Enfant, il partait en transhumance avec les bêtes pendant plusieurs mois. Il a eu le temps de connaître cette vie de campements et de feux de brousse. Une vie heureuse.

Enfant, Isa a eu le temps de connaître cette vie de campements et de feux de brousse. Une vie heureuse. Tout a volé en éclats.

Puis en 2011, tout a volé en éclat. Les violences qui ont suivi la présidentielle au Nigeria ont viré dans la région de Kaduna aux règlements de comptes religieux et ethniques. Chrétiens contre musulmans, Peuls contre tous les autres.

Quatre-vingts membres du clan d’Isa ont été massacrés en une nuit. De leurs 100 vaches, les deux-tiers ont été abattues. Alors, la famille polygame, avec ses 15 enfants, s’est réfugiée comme tant d’autres dans la réserve. “L’adaptation fut difficile. Nous avons commencé à cultiver la terre car le bétail avait beaucoup diminué”, raconte Isa, qui s’est levé à l’aube pour traire ses bêtes.

L’adaptation fut difficile. Nous avons commencé à cultiver la terre car le bétail avait beaucoup diminué.

ISA IBRAHIM
Berger

TRANSHUMANCES

TOUT EST CULTIVÉ

“Le troupeau n’est plus symbole de richesse, mais de survie”, se désole Isa. “Il est devenu impossible de faire 10 km en brousse sans traverser des champs”. Les routes de transhumance n’existent plus, tout est cultivé.

Le troupeau n’est plus symbole de richesse, mais de survie

A la violence, est venue en effet s’ajouter la disparition des pâturages au profit de champs cultivés de maïs, de sorgho ou manioc destinés à nourrir une population en croissance exponentielle.

Le Grazing Reserve Act promettait, dès 1964, de convertir 10% du territoire national en pâturages. Mais la loi n’a pas été appliquée.

“Plus de 90% des jeunes de la réserve sont sans emploi. Ils végètent au village, certains fument de l’herbe ou prennent de la codéine”, un sirop pour la toux devenu une drogue à la mode, assène sans beaucoup d’optimisme le maître d’école de 29 ans, Shitu Abdullahi

Le taux criminalité explose au sein de la jeunesse peule dans le nord du Nigeria. Vols de bétail à grande échelle et kidnappings contre rançon sont devenus la norme. “Beaucoup de ceux qui avaient tout perdu lors d’attaques se sont à leur tour procuré des armes. Une kalachnikov coûte autour de 100 euros”, explique Malam Mansur Isah Buhari, enseignant à l’Université de Sokoto, grande ville-carrefour du nord-ouest, à seulement quelque 80 km du Niger.

HISTOIRE

CRAINTE DES PEULS

Le Nigeria reste traumatisé par l’expérience du Califat de Sokoto, au XIXe siècle, à l’économie fondée sur le travail d’esclaves dans les plantations, mines de sel et industries du fer. A chaque nouvel épisode de violence, la presse nigériane – dont les principaux titres appartiennent à des magnats du Sud – n’hésite pas à comparer les éleveurs peuls à des “terroristes” qui veulent islamiser le pays.

L’élection en 2015 du président Muhammadu Buhari, un Peul musulman issu du Nord, n’a pas apaisé les esprits. Sa lenteur à condamner les massacres, l’incapacité des forces de sécurité à protéger les populations et les nominations de Haoussas ou Peuls aux postes clés dans l’armée et la police, ont attisé les frustrations.

La majorité des éleveurs peuls est pauvre, sans accès à l’éducation, et personne ne porte leur voix, pas même l’élite au pouvoir

Pourtant, le Dr Ibrahim Abdullahi, qui représente un syndicat d’éleveurs à Kaduna (nord), assure que l’idée d’un “jihad peul” moderne au Nigéria relève du “pur fantasme”. “La majorité des éleveurs peuls est pauvre, sans accès à l’éducation, et personne ne porte leur voix, pas même l’élite au pouvoir”, dit-il. “Il est facile de leur faire porter la responsabilité de tout ce qui va mal dans le pays”.

AFP

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