PEULS, CHAPITRE II : ATTAQUE

A 1.800 km de Mopti, à Ang War Aku, village agricole du nord du Nigeria, Monica Gabriel prépare une bouillie de mil, sans se douter de rien. Il est environ 6h30 du matin, le 8 avril 2019, lorsque résonnent, non loin de son hameau de cases en torchis, des tirs d’armes automatiques. Les a-t-elles entendus?

MONICA GABRIEL

LE JOUR DE L’ATTAQUE

Elle ne le sait pas encore, mais Monicane pourra plus jamais préparer le mil comme avant. Maison après maison, des hommes armés entrent, et abattent systématiquement hommes, femmes, enfants, vieillards qui se trouvent sur leur chemin. En moins de deux heures, 27 personnes sont massacrées, et 16 autres gravement blessées.

Dans le silence pesant du dispensaire de brousse où Monica a été évacuée, son mari Dauda, se souvient. “Ma mère a été tuée sur le pas de la porte. Ma femme a essayé de s’enfuir en courant, mais ils l’ont rattrapée”.

Le cultivateur n’a plus quitté le chevet de son épouse, allongée sur un vieux matelas posé à même le sol, simplement recouvert d’un pagne rouge vif. Comme la couleur du sang qui a coulé et dont l’odeur est restée.

Une semaine après les tueries, Monicaest encore sous le choc. Son visage figé ne s’est plus animé d’aucune parole. Des balles se sont logées dans chacune de ses jambes. Son crâne rasé est traversé d’une immense balafre tandis qu’un bandage grossier recouvre son poignet gauche. Les hommes qui l’ont attaquée lui ont tranché la main à la machette.

SPIRALE INFERNALE

DÉJÀ 7.000 MORTS

S’agit-il de bandits de grand chemin, comme la région en compte tant ? Bien souvent, personne ne sait

Les survivants assurent que les assaillants sont “des Peuls”. Ils les ont entendus parler leur langue, le fulfulde. Ils en sont certains : ils ont reconnu leur “peau claire” et leurs “traits émaciés”.

Le mari de Monica Gabriel, ignore tout de leurs mobiles et ne comprend pas pourquoi leur village a été visé. “Nous n’avons rien fait”, dit-il. S’agit-il de bandits de grand chemin, comme la région en compte tant ? D’éleveurs venus des hameaux environnants ou de contrées lointaines ? Est-ce là un acte de vengeance, un déchaînement de violence gratuit ? La vérité est que bien souvent, personne ne sait. 

Seule certitude : la spirale infernale des violences entre éleveurs et agriculteurs n’en finit plus au Nigeria. Le conflit pastoral aurait fait au moins 7.000 morts entre 2014 et 2019 et a transformé les campagnes en un no man’s land où se succèdent des villages saccagés et déserts. Seuls des hurlements de chiens abandonnés viennent briser le silence.

Il y avait autrefois de la place pour tout le monde dans cette “Middle Belt”nigériane, où se rencontrent un Nord à dominante musulmane et un Sud majoritairement chrétien: le lait s’échangeait contre des céréales, les résidus agricoles servaient à nourrir les troupeaux, et le crottin comme engrais pour les sols. Mais ce rituel annuel d’échange rendu possible par la transhumance des troupeaux s’est grippé.

La baisse des précipitations et les sécheresses dans le nord, l’insurrection jihadiste de Boko Haram dans le bassin du lac Tchad ont progressivement poussé des éleveurs peuls à ne plus repartir et à s’installer de manière durable dans cette “ceinture du milieu”.

Ce qui est au départ une lutte pour l’accès aux ressources prend des consonances religieuses et ethniques entre agriculteurs majoritairement chrétiens et éleveurs musulmans. Face à l’impunité, le pasteur évangélique Yohanna Buru arpente les villages environnants pour tenter d’apaiser les esprits. “Ne cherchez pas à vous venger, priez pour vos ennemis et le salut de leur âme”, tonne au micro d’une petite église le quadragénaire aux grosses lunettes de soleil noires, en jean, chemise et baskets.

Regards étonnés, murmures dans les rangs de déplacés venus recevoir l’onction suprême et récupérer des sacs de vivres, en ce dimanche matin. Les fidèles se sont habitués aux discours vengeurs de leurs chefs coutumiers et responsables politiques.

Quoi de plus pratique pour justifier la pauvreté galopante, la faim qui tenaille le ventre, le chômage, les frustrations ?

OYAMA KWANAKI

LA RANCUNE

Le religieux insiste: “Peul n’est pas synonyme de terroriste”. Dans sa maison située au cœur du quartier chrétien de Kaduna, ville où s’applique la charia, il invite les imams à célébrer Noël et Pâques à ses côtés et répète à qui veut l’entendre que “le dialogue reste la seule issue”.

Pour les agriculteurs “ce n’est pas facile, mais il faut les comprendre”, plaide-t-il aussi.“Cette terre, c’est leur seule richesse, tout ce qu’ils savent faire, c’est la cultiver”.

Ce que j’ai vu cette nuit-là je ne pourrai jamais l’oublier. Si mon chemin croise celui d’un Peul, il devra payer.

OYAMA KWANAKI
Agricuteur adara

Oyama Kwanaki est de ceux-là. De ceux qui ont tout perdu et ruminent en silence. Rencontré sur un lit d’hôpital, blessé par balle, c’est un costaud aux yeux sombres animés par la rage. “Ce que j’ai vu cette nuit-là, je ne pourrai jamais l’oublier. Si mon chemin croise celui d’un Peul, il devra payer”

Les campagnes sont pleines désormais de ces jeunes, organisés en milices pour défendre leurs villages.

AFP

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