Le dernier conseil militaire

Les officiers sont convoqués. Une base militaire vient d’être attaquée par des éléments terroristes. Le bilan est lourd et le moral des hommes de troupes quasiment entamé dans toutes les casernes du pays inquiète le chef de la dictature. C’était le désordre total au sein de la grande muette. Au crépuscule de son règne, le chef de la dictature s’agite. Cependant ses plus valeureux officiers s’endorment sur leurs lauriers.

Mais ce jour-là, le réveil fût brutal. C’est la messe devant le chef de la dictature. On reconnaît toutes les têtes du commandement et des renseignements militaires au tour de lui. Lorsqu’il accède à la salle tellement exiguë, les officiers ne savaient pas encore pourquoi ils sont là. On ne fait pas tous les jours un conseil militaire, celui-là fût son dernier.

Ils devinent que ce n’est pas pour les promotions. Certains tremblent, d’autres, viennent en tenue de guerre, d’autres font semblant de prendre des notes. En soubassement, on se dit collectivement, il faut apprivoiser la bête. Surtout qu’elle agonise. Dès que le colonel-portier referme la porte, le ciel s’abat sur les étoilés. La salle se rétrécit davantage.

Le chef lance presto les remontrances : « vous, officiers de salon à quoi servez-vous. On vous attaque jusqu’à dans vos chambres à coucher ? ». Le ton était régalien, humiliant et sans concessions.

Les « vieux-caïmans » se raclent les gorges et les jeunes rebelles courbent l’échine. Les visages se crispent. Les sueurs froides apparaissent sur les fronts fébriles des compagnons du chef de la dictature.

J’en ai assez de vos mensonges et atermoiements, poursuit le chef. C’est qu’une note, l’alertait sur les ambitions des « jeunes officiers » qui tentaient de coiffer les « aînés »…

Chacun en reçoit pour son compte. Mais le colonel-portier, rapporte-t-on, eut le malheur de tenter une négociation sur le ton. En voulant baisser la température, il cassa le thermomètre. C’est vrai que ce n’est pas un homme qui sait jauger. Il voulût placer un mot. À peine, il prononça :« Mr le président euh c’est que…», que le chef furieux le chargea. C’est, ce jour dit-on, que les obus atteignirent la fierté du colonel-portier de plein fouet. Il eut des éclaboussures au fond de son âme. Après cette scène qui dura une éternité plus personne ne pipa un traître mot.

On était au mois de juin. L’été fût chaud pour tout le monde. Certains qui n’avaient plus quitté Nouakchott depuis la guerre du Sahara dans les années 70 ont été obligés d’abandonner les climatiseurs des bureaux pour d’interminables missions d’inspection et de contrôle. Mais le colonel-portier ruminait son humiliation dans les dédales d’un palais devenu fade.

En ouvrant chaque matin le bureau du chef, il disait : « aujourd’hui, je lui dis entre quatre yeux combien je me suis senti blesser par ses remontrances. »

La rumeur de son « savonnage » enflait dans les chaumières et taudis. Il n’osait plus se rendre au “grand -place” des « jeunes rebelles ».

Mais son ami de longue date, le confident, lui murmurait : “ mon frère, tu n’étais pas seul. Tu n’avais pas regardé les visages des vieux caimans”. Yeswaa, marmonnait-il, « moi, le portier, on me respecte ».

La suite, on la connaît tous. Le portier deviendra “ un grand quelqu’un” tout comme son ami de longue date. Il coiffera tous les « vieux caïmans » après une petite parenthèse de gloriole.

Mais encore une fois, il semble qu’il traine la malediction de l’humiliation. L’épilogue reste inconnu. On a vu des maudits devenir des bénis. Comme le dit le vieux adage: « il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. »

Excusez du peu, mais Machiavel n’a-t-il pas connu la gloire et la déchéance ? En son temps, Machiavel était caricaturé en « glace » adepte irréductible de la prudence et le calcul. N’est-ce pas l’attitude de l’ami du « colonel-portier » devenu lui aussi aujourd’hui un grand «quelqu’un » ? Le renard dans cette histoire, c’est lui, l’ami de longue date, l’homme de l’ombre, révélé par la grande lumière qu’offre le pouvoir. Surtout celui-là qui est acquis facilement. Sans grande conquête. Machiavel dira de lui, «  je n’étais qu’un secrétaire dont le destin dépendait du bon vouloir de nos seigneurs. » Voilà !

Mais à côté de Machiavel, il y a toujours Savonarole. Ce dernier est un prédicateur qui remplit des églises. Lorsqu’il impose sa vision, Florence devient une théocratie.

Partout, il professe : « Dieu veille, Dieu choisit. Je suis son chavelier et son héraut. ». Vous savez ce qui se dit dans les rassemblements religieux. Et tout se « soufisise ». BirAllah, Taazour, concours des Moutoune, on sort les chapelets. Les onze, les douze et les trente-trois…Il faut mystifier le nouveau « grand quelqu’un » du moment en égrenant les victoires et les miracles de tous les saints pour se protéger contre la riposte de l’ancien grand quelqu’un. Le colonel-portier fait face, à la fois à Machiavel et Savonarole : la glace et le feu. Avoir à choisir entre l’hypothermie et l’hyperthermie, c’est comme choisir entre la peste et le choléra. Il suffit de savoir agenouiller son chameau comme disent les maures.

Ahmedou Sabbar

administrator,bbp_keymaster

Leave A Comment

Activer les notifications OK Non merci