FAIDHERBE, LA STATUE QUI ECLAIRE, par Thomas Lesaffre

Politologue au Public Affairs Research Institut à Johannesburg.

Amis du Nord, de Lille ou de Roubaix, une chance historique nous est donnée ce samedi. Celle de faire tomber la statue de gouverneur Faidherbe, un homme né à Lille, comme vous et moi, d’une famille modeste du Vieux-Lille, comme ma grand-mère. Il s’agit ici bel et bien de notre histoire directe.

Disons-le franchement, quel Lillois voudrait spontanément déboulonner Faidherbe? Aucun.

Et pour cause, quel Lillois ne s’est jamais donné rendez-vous face à ‘Faidherbe’ pour éviter la foule de la place de la République ou pour aller ensuite à l’UGC ? Mon propre grand-père, durant l’occupation allemande passait fièrement en face de troupes allemandes en faisant le V de la victoire avec ses doigts. Il attendait qu’un autre Lillois viennent les libérer, le Général De Gaulle. Étant petit, Faidherbe et son cheval m’impressionnaient énormément. Cette statue fait partie de mon histoire, les anciens @aurelien , @Joffrey ou @Camille pourront vous le confirmer.

Qui aurai crue que j’allais retomber sur cette statue à des milliers de kilomètres de Lille et non pas à Lyon ou ailleurs en France ?

Quel ne fut pas mon étonnement, et je dois bien me l’avouer ma fierté initiale lorsque j’ai vu pour la première fois la statue de ce Lillois au cœur de la ville de Saint-Louis (où j’étais allé poursuivre mes études africaniste). En marchant dans cette ville qu’il a développé comment ne pas se sentir ‘un peu’ chez soi, lorsque l’on découvre les briques rouges, qui me manquaient tant à Lyon ou à Bordeaux . Comment ne pas s’identifier à une histoire commune lorsque l’on traverse le pont Faidherbe ou que l’on s’attarde place de Lille à Saint-Louis.

Comment ne pas se dire qu’une partie de mon histoire se cachait dans ces rues et ces murs? J’ai donc commencé mes petites recherches sur l’homme et cette histoire commune qui me liaient avec les gens qui désormais partageaient mon quotidien à l’université.

Mon ardeur régionaliste s’est vite dégonflée.

L’Histoire de Faidherbe commence dans une famille modeste du vieux-lille, à l’époque où le quartier est encore très populaire. Fils d’un soldat volontaire le jeune Louis fait des études brillantes à Lille puis à Douai. Il se dirige presque naturellement vers polytechniques et devient ingénieur civil dans l’armée. Très vite il rejoint l’Algérie où l’armée se livre à d’importantes conquêtes, et participe avec véhémence et ardeur aux différentes expéditions. Dans le Djudjura, mais surtout en petite Kabylie.

Je ne vais pas vous refaire ici toute la guerre de conquête de l’Algérie, mais on estime que 4 millions d’Algériens étaient présents en Algérie au début de la conquête en 1830 et qu’on en comptait plus que 2,3 millions lors que celle-ci fut achevé en 1858. La pratique de la terre brûlée ou de l’étouffement de villageois regroupés dans des caves par asphyxie était courante.

On ne va pas passer par quatre chemins, je ne sais pas si Faidherbe lui-même s’est livré à de telles atrocités. L’histoire retient uniquement que son action sur le terrain est appréciée par sa hiérarchie militaire, qui le recommandera pour prendre en charge un bataillon de tirailleurs sénégalais situé à Saint-Louis. Et c’est la que Faidherbe va réaliser le plus grand de son œuvre, il étend l’empire d’Afrique Occidental Française jusqu’au tréfonds du Sahara, avec ses troupes sénégalaises il remporte de nombreuses batailles contre la résistance locale, El Hadj Omar est vaincu, le pays Wolof et Kayor sont,entre autre, annexés, disciplinés et mis sous le joug de l’économie coloniale.

Arriver dans le sang de la conquête, notre ingénieur Lillois s’est par la suite distingué dans la construction, celle d’une société coloniale nouvelle. Des millions de vies seront transformées à jamais, des économies dynamiques sont patiemment démantelées, re-organisées. Il impose la culture du Coton, dans la boucle du Niger au détriment du développement des économies existantes, inscrivant à jamais cette région dans les griffes d’un capitalisme mercantile dans lesquels elle se trouve encore aujourd’hui. Il projette la ligne de chemin de fer Dakar-Niger, chantier titanesque dans lesquelles des millions d’Africains de l’Ouest perdront la vie dans des conditions de travail proche de celle de l’esclavage. On lui doit aussi l’instauration de taxes coloniales, qui ne se payait quasiment qu’en heure de travail, aussi appelé travail forcé. À coup de décrets et de fusils, Faidherbe met au pas des millions d’Africains et les inscrit dans une économie nouvelle, mercantile et prédatrice.

Faidherbe participe à la transformation de cette petite ville de traite, en puissante capitale coloniale. Il y fait construire la plupart des rues dans lesquels les St Louisiens aiment à déambuler encore aujourd’hui. Petit à petit il brise les résistances locales, façonne un nouvel ordre et devient gouverneur de la Colonie la plus puissante de l’Afrique Française.

En rentrant à Lille après mon séjour d’études à Saint-Louis je suis retourné face à la statue de Faidherbe. Je l’ai regardée et me suis posé les questions suivantes :

S’agit-il d’un homme dont je dois être fier ? Le Lillois de 2020 que je suis a-t-il vraiment envie que son histoire soit glorifiée ? Notre région est une terre d’accueil du monde, comment ne pas penser aux milliers de Kabyles vivant ici? Savent-ils seulement? Notre ville a vu naître de nombreux héros, des hommes et des femmes qui chaque jour pourraient représenter nos valeurs dans nos rues. Pourquoi se borner à mettre Faidherbe plutôt que des Lillois dont nous pourrions tous être fiers aujourd’hui ?

Au Sénégal j’ai eu honte de dire à mes amis ce que j’ai découvert sur l’homme et ses pratiques. Honte de savoir que je passais chaque samedi pendant une partie de ma jeunesse devant la statue d’un tel homme. En soit je ne peux pas être tenue pour responsable des atrocités de Faidherbe. Par contre en tant que Lillois, je suis responsable du fait qu’une statue à la gloire d’un colonel colonialiste trône au milieu de ma ville, eût-il été conseiller général de Lille ou non. Faidherbe devrait être dans un musée, nos musées, à côté d’un panneau explicatif et pédagogique qui nous rappellerait à tous comment cet homme à contribué à façonner notre relation au monde.

Lillois je m’adresse directement à vous, qu’avons-nous réellement à ‘sauver’ ici ? Oui Faidherbe fait partie de notre histoire, et nous ne pourrons pas la changer, cependant il nous est donné l’opportunité historique de façonner une autre histoire, une histoire plus inclusive, celle de la société de 2020, dans laquelle chaque petit Lillois pourrait se reconnaître et aspirait à grandir dans la tradition des grandes femmes et des grands hommes de cette ville.

Enfants de la déesse, mettons Faidherbe dans les sous-sols du palais des Beaux-Arts, ou au musée d’Art et de d’Industrie André Diligent à Roubaix et construisons d’autres héros pour notre jeunesse.

Thomas Lesaffre

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