Élections 2023: ce qui attend les Mauritaniens

Dans une optique démocratique, il serait plus judicieux de dire plutôt ce que les Mauritaniens attendent des prochaines législatures communales, régionales ou parlementaires du 13 mai prochain. Cependant, vu que nous sommes dans un régime mi-figue, mi-raisin, entre pouvoir civil dont les commanditaires sont hauts gradés, s’imaginer que les élections apportent le changement est un grand leurre. Dès lors que les candidats sont connus, du moins pour toutes les tendances politiques influentes, on peut se hasarder à quelques prévisions politiques.
Dans ce qui se présente à nous, on voit des brasseurs de vent et des idéalistes qui s’agitent, mais le désenchantement n’est pas loin tant en politique le rêve n’est point interdit. Gageons pour ceux-là que le réveil ne fut pas brutal. Les jeunes qui pensent pouvoir concurrencer un système politique bien établi ne devraient tout de même pas se décourager, ils auront à apprendre que l’humilité est la première valeur en politique. Prendre conscience qu’en politique la précipitation est un vice fatal. Mais il ne faut jeter le bébé avec l’eau du bain.

El Ghazouani : petits espoirs, grandes déceptions

Disons-le d’emblée, les configurations indiquent qu’il ne faut pas s’attendre à un grand bouleversement politique de nature à apporter un renouveau démocratique et représentatif. En effet, le régime en place, bien qu’ en difficulté avec ses clientèles, s’imposera partout, tant qu’il détient tous les leviers du pouvoir. La gestion exclusive des moyens de l’État, la subordination systématique des institutions en charge des élections accordent au régime une longueur d’avances vis-à-vis des ses adversaires politiques.

En plus de vouloir rafler plusieurs communes, la stratégie du régime est de gagner tous les conseils régionaux en reconduisant quasiment tous candidats sortants. Et ceci est un message à la grande clientèle tribale dans les régions de l’Est, du Tagant, Brakna, le Trarza et le grand Nord. Dans la vallée du fleuve, il s’est appuyé sur les vieux fonctionnaires éternellement inféodés à l’État, pour certains, jusqu’au déni de leur propre identité culturelle. Et pire encore, dans certaines localités, comme l’État s’est toujours distingué, l’on a fait recours à la politique du « diviser pour mieux régner ». Dans certaines situations, l’opportunisme a été poussé jusqu’à monter deux communautés voisines l’une contre l’autre. En revanche dans d’autres, comme à Timbedra, les notables se sont insurgés en défiant l’État, dans le Sud, les alliés ont placidement accepté les décisions unilatérales arguant la discipline et l’alignement politique. Vertus qui n’existent pourtant que dans leurs imaginaires de faire-valoir. On n’ a vu des commerçants sans aucune formation scolaire ni même culturelle imposés au détriment des cadres supérieurs, uniquement parce que ces derniers ont arrosés ça et là d’influents généraux.

Tout ceci pour dire qu’El Ghazouani retrouvera sans doute sa majorité pour poursuivre son agenda. Cependant face aux déceptions engendrées lors son premier mandat, aux réalisations si mitigées, El Ghazouani prévoit-il de grandes réformes nationales, institutionnelles et politiques ? Avec les tergiversations auxquelles il a habitué les Mauritaniens, tout porte à croire que non. Pour El Ghazouani, gouverner, c’est atténuer les risques et meubler le temps.

La torpeur avec laquelle El Ghazouani gouverne le pays ne laisse pas entrevoir d’énormes chantiers institutionnels ou infrastructurels. Contrairement à certains pays voisins de la sous-région, on dirait que la Mauritanie n’a pas inscrit l’émergence dans ses priorités. De plus, le pays attend toujours les retombées gazières et de l’hydrogène vert qui semblent être une équation à plusieurs inconnues pour l’élite intellectuelle du pays.

Sur ces questions et bien autres d’ordre sociétal, on s’attend particulièrement que la prochaine Majorité parlementaire soit aux ordres du régime. L’ Assemblée nationale restera cette éternelle chambre d’enregistrement au sein de laquelle le Ghazouanisme sera davantage mis au pinacle après la décennie « Azizisme ».

Le retour du politique ?

Constatons, comme tout un chacun en Mauritanie, que la politique mobilise de plus en plus l’élite politique nationale. Un engouement qui en dit long sur les représentations que l’on se fait de la politique comme source d’un prestige social et d’un ascenseur élitiste. La politique n’est plus considérée comme un champ d’action pour le bien collectif des citoyens. Elle est assimilée à une sphère d’influence au sein de laquelle on se fait une clientèle pour s’imposer comme porte-parole d’un groupe social donné ou engranger des privilèges.

On a vu des tapages médiatiques et des scènes ahurissantes de dignitaires entourés des « gens de leur tribu » défiant les choix du parti El Insaf, de ce fait, de l’État. D’autres personnes ont quitté leurs partis politiques avec fracas en jouant sur la fibre ethnique ou de castes pour négocier une nouvelle identité politique. Généralement, ces individus quittent l’opposition pour se jeter dans les bras du régime sur lequel ils ont tiré à boulets rouges pendant des années.

L’ exigence d’un renouvellement.

Cette réalité se manifeste clairement à travers l’arrivée en force de la Coalition Espoir Mauritanie. Hétéroclite, cette Coalition conduite par un ancien de l’IRA, est amenée par des têtes d’affiches jeunes à l’avenir prometteur, si elle résiste aux manigances et aux manipulations de l’État profond. En effet, elle présente des personnalités politiquement engagées depuis des années sur des dossiers nationaux comme l’esclavage, le passif humanitaire, la justice sociale et la redistribution équitable du pouvoir. Si le groupe survit à l’implosion prématurée, il promet à la Mauritanie la possibilité d’une véritable alternative démocratique et populaire dans les décennies à venir. Mais les coalitions politiques sous nos cieux ne durent que le temps d’une élection, celle-ci passée, les individus retournent à leurs vieux réflexes.

Imposer les indispensables.

Bien évidemment, on ne peut évoquer la politique en Mauritanie sans parler de Tawassoul. Au Parlement, comme lors des derniers mandats parlementaires, les islamistes se présenteront incontestablement comme la première force de l’opposition à l’Assemblée nationale. Bien que les noms soumis aux électeurs manquent de leadership, que l’on constate l’absence de véritables ténors historiques du parti, ils n’en demeurent pas moins quelques uns auront à marquer les annales. De plus, le parti a effectué des coalitions électorales avec un large spectre de partis, notamment des négro-mauritaniens pouvant porter à l’hémicycle des personnalités percutantes, capables de contrôler le travail gouvernemental.
Parmi les indispensables, espérons que les populations comprennent les enjeux dans les candidatures des personnalités politiques comme le médecin Outouma Soumaré, Samba Thiam, Ibrahima Mocktar Sarr et bien d’autres. Au-delà même que cela soit du ressort de l’opposition traditionnelle, pour la vitalité et la crédibilité de la démocratie mauritanienne, il est du devoir de tout un chacun de participer à leurs élections, y compris paradoxalement du côté du régime. El Ghazouani lui-même a tant de points à engranger politiquement en y contribuant.

Pacifistes invétérés, infatigables démocrates, ils sont des modèles pour les jeunes, leur présence sera vécue comme un éventuel signe précurseur d’une future pacification politique susceptible d’ouvrir la voie vers la réconciliation tant espérée.

Au nom des tortionnaires, garde-à-vous !

Le dirigeants du parti au pouvoir ayant toutes les cartes en main ont certainement vu poindre à l’horizon une Assemblée nationale progressiste au sein de laquelle des groupes parlementaires pourront porter ensemble des propositions de loi révolutionnaires. Ainsi pour couper court à toute velléité allant contre l’ordre établi, le parti semble avoir opté pour le général à la retraite, Mohamed Ould Meguett, comme joker. Il sera le futur gardien du temple de l’État de profond notamment par rapport à « Loi numéro 93-23 du 14 juin 1993 portant Amnistie » que Tawassoul échoué à déverrouiller. En imposant Meguett, El Ghazouani maintient invariablement la stratégie du statu quo.

Le choisir lui, qui est accusé par les associations de rescapés militaires d’être impliqué dans exactions extra-judicaires de 91-92, comme élu du peuple, de surcroît au Brakna, c’est faire preuve d’un cynisme politique abject. Permettre à un presumé bourreau de légiférer des lois, c’est immanquablement autoriser le vice à rendre hommage à la vertu.

C’est une manœuvre du ministre de l’Intérieur, fervent défenseur du nassirisme, qui voit en lui, tantôt un élément catalyseur, tantôt une garantie vis-à-vis des institutions militaires. Mais aussi comme la bête noire des opposants, en l’occurrence pour ceux qui voudraient le voir ailleurs que sur un banc de l’Assemblée nationale.

On se rappelle qu’en 2008, les militaires ont réussi à installer El Arbi Ould Sidi Aly Ould J’Deine au poste du vice-président de l’Assemblée nationale. Et des organisations des droits humains comme le FONADH, et notamment le Covire, un collectif des victimes des tortures s’était insurgé contre la réédition des tortionnaires.

Donc, les noms changent, la tactique demeure : on se protège jusqu’à l’extinction. Meguett aura un autre rôle, il dira ce que le régime veut entendre sur les questions nationales, appuiera le budget des forces armées et aura la tâche de fustiger ou de traiter d’extrémiste toute voix discordante. Last but not least, il a été pendant longtemps le directeur général de la sûreté nationale. Il a donc la fiche de tout le monde, lui qui est passé également dans les transmissions militaires. Il sera l’homme le plus craint de la prochaine législature particulièrement du fait que certains futurs élus du peuple, issus de la majorité, de la société civile et une certaine opposition étaient, au mieux, des visiteurs émergeant à la DGSN, au pire des clients dont il achetait les services.
Avec l’élection prochaine du général Meguett, lequel, au regard de son influence polico-militaire, occupera fort probablement le perchoir, il aura sur un blanc seing l’immunité constitutionnelle et parlementaire pour le prémunir contre toute attaque en justice en cas de déplacement en Europe ou aux États-Unis.

Voilà à quoi s’attendre.

La rédaction

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