Concertations politiques : El Ghazouani face à l’histoire

Mohamed Cheikh El Ghazouani veut concrétiser son projet de dialogue social. Et pour cela, il a opté pour des concertations politiques. En effet, en tant qu’ancien officier de la grande muette, il est amené à user de tactiques stratégiques. D’ores et déjà, on constate qu’il propose à la classe politique un cadre de rencontres consensuel. Bien que certains éditorialistes y voient un remake des dialogues passés : les kermesses, la bonne figure et des résolutions connues d’avances, lesquelles ne seront jamais appliquées. 

Mais en bon stratège militaire, il veut ménager la chèvreet le chou. En finir avec le statu quo, tout en évitant de crever l’abcès. 

La logique  » du veau et la calebasse » chez les éleveurs.


Vous l’aurez compris : le casting Ghazouanien est bien ficelé. Oui, on discute de tout et aucun sujet ne relève d’un tabou. Seulement, dans une concertation, le porteur de l’initiative détermine et maintient généralement le cap. Et par conséquent, il oriente les décisions finales. On nous dit que la commission de supervision s’est entendue sur quatre grands axes et que les assises débuteront en mai.

Les questions nationales : manœuvres idéologiques et solidarités corporatistes.

Venons-en aux grandes questions nationales sur lesquelles doivent plancher les acteurs politiques.
D’abord, au regard de sa représentativité, une ascendance idéologique influence déjà sur l’avenir des concertations. Le maître de cérémonie, le secrétaire général de la Présidence, Yahya El Waghef, désigné président de la commission préparatoire, est un proche des milieux nasséristes, forts influents dans les arcanes du pouvoir. Rompu aux tactiques politiciennes, il est coopté afin d’éluder des concertations les sujets proscrits par l’Armée.

Bien qu’il fut le Premier ministre du feu Sidi OuldAbdallahi, le principal artisan du retour des réfugiés négro-mauritaniens, il n’est pas exclu qu’il mette un veto sur certains préalables de la résolution du dossier du passif humanitaire. La remise sur orbite des partis d’obédience nationaliste a justement pour objectif de garder le temple. 

Cependant, toute l’opinion publique attend que des partis comme Tawassoul et les deux CVE soientintraitables sur les mécanismes de résolution du passif humanitaire. Particulièrement sur le devoir de vérité et sur la mise en place d’une justice transitionnelle.

Nous savons tous maintenant que le coup de force de 2008 émane justement de la volonté d’abréger le processus pensé par Sidioca avec les acteurs de la société civile. Les militaires continuent de protéger leurs frères d’armes impliqués dans les exactions extra-judicaires dans les années 89-91. L’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz savait que ce dossier est la boîte de Pandore à ne pas ouvrir. Avec quelques complicités malencontreuses, il finira par échouer dans sa tentative d’achat des consciences en voulant diviser les ayants droits. El Ghazouani emprunte la même stratégie d’instrumentation du dossier, évitant les personnalités clivantes. Mais une fois les tractations découvertes, sa stratégie échoue. Et son homme lige est aujourd’hui indexé pour son travail de sape auprès desorganisations de victimes, de veuves et d’orphelins.

Voilà sur cette question primordiale ce qui donne une longueur d’avance aux trois pôles politiques de l’opposition lors des concertations. Tawassoul et les deux CVE auront donc la lourde tâche de sonder la volonté de Ghazouani et ses visées sur la cohabitation nationale.  

La question haratine : une seule hirondelle ne fait pas le printemps.

Sur la question de l’esclavage, les observateurs considèrent  que l’approche de Ghazouani est peu convaincante. L’agence Taazour tout comme la défunte Tadamoun, est au service des notabilités, plus qu’aux missions qui lui sont dévolues. Elle est occupée à engraisser des hommes d’affaires véreux au lieu de sortir les hameaux de haratines de la misère. Et au plan strictement politique, il est inconcevable de discuter de cette question nationale sans inclure le Manifeste pour les droits sociaux des Haratines et d’autres figures historiques de ce combat. Visiblement, Ghazouani s’appuyait sur son « ami » Biram. Le doyen de la lutte Messaoud vient de défaire tous ses espoirs en constituant un pôle politique à lui seul. Le vieux routier de la scène politique, en cristallisant le débat autour de lui ainsi que l’appareil en charge des concertations, vient de rabattre les cartes. Celui qui voulait vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué l’a appris à ses dépens. 

En ajoutant à cela les sorties du « Manifeste », El Ghazouani fait face à un Biram isolé au sein de son environnement politique immédiat faute de crédibilité intracommunautaire. 

Ce que Biram n’avait certainement pas compris ou sciemment ignoré, c’est que l’État a mis sur orbite son ancien partenaire électoral Sawab. Ce parti devient de facto un aile idéologique de l’État face aux légitimes revendications identitaires des négro-mauritaniens. Et son rapprochement avec El Ghazouani au moment de l’accaparement des terres à Ngawlé et à Boghé signe de facto sa rupture avec les élites noires. Par ailleurs, ses tournées préélectorales sont interprétées comme une tentative de reconquête. Les crises internes au sein d’IRA au lendemain des élections de 2019 ont fini par fractionner son électorat. En se désolidarisant avec les partis traditionnels pour se positionner en leader d’opposition, Biram est tombé dans un piège du régime. Ce dernier l’instrumentalise en le considérant comme un « chiffon rouge » qu’il agite tantôt contre Tawassoul, tantôt contre les deux CVE ou encore contre Bouamatou. Apparemment, l’homme se complaint dans ce rôle d’hirondelle de printemps.

UFP et RFD : une si longue marche vers Ghazouani
Aux concertations, les réformes politiques et institutionnelles seront le cheval de bataille du Rassemblement des forces démocratiques (RFD) et de l’Union des Forces du Progrès (UFP). D’ailleurs, en attendant leur mue définitive, certains observateurs prévoient même l’entrée probable de ces deux partis traditionnels dans un gouvernement d’union nationale à l’issue du dialogue. Acté en Novembre 2019, le rapprochement entre l’UFP, le RFD et l’actuel régime suivait un agenda bien ciblé : précipiter la descente aux enfers de l’ancien président et apaiser la scène politique nationale. Les deux partis, anciens adversairespolitiques d’Abdel Aziz, n’ont pas lésiné sur les moyens, allant même jusqu’à devenir fervents défenseurs de Ghazouani contre l’opposition, leur propre camp, usant des petits coups bas ici et là. Hormis quelques communiqués de façade et des sorties circonstanciées, il est devenu rare de voir ces deux partis critiquer substantiellement les orientations désastreuses d’El Ghazouani, et notamment la promotion des corrompus issus de la décennie azizienne. Avec le lancement des concertations, il a fallu que Messaoud tape du poing sur la table, que le Manifeste sorte de sa torpeur et queTawassoul via son représentant relève quelques anomalies, pour que l’UFP multiple des piques médiatiques contre le régime.

Ainsi, l’opinion publique voit dans leur présence aux concertations un pas de plus de leur entrisme politique. Aller aux concertations pour trouver quelques acquis,notamment l’intégration de la Ceni, la révision du fichier électoral, la réforme du découpage administratif et la fin de l’ostracisme de leurs cadres. 


Les radicaux ou la troisième voie

Une nouvelle coalition vient d’être lancée. Elle réunit quelques partis, des mouvements et des personnalités, pour la majorité des dissidents. Dès leur première sortie, ils ont tiré à boulets rouges sur les concertations. Ils entendent jouer pleinement leur rôle de contrôle mais surtout de source de pression supplémentaire au régime. Pour l’opposition dialoguiste, cette nouvelle coalition surveille systématiquement les compromis avec le pouvoir. Quasiment tous les acteurs de ce nouveau Front ont une bonne aura. Certains occupent déjà le pavé de la Place de la Liberté, d’autres les tribunes de l’Assemblée nationale ou encore les chantiers de la SNIM et des différents ports. Tout compte fait, El Ghazouani n’à plus le choix que d’être historiquement décisif. À défaut, il n’est pas exclu qu’il subisse l’ire de la rue. À mi-mandat, s’il cherche réellement à se faire réélire, il lui incombe de prendre des décisions révolutionnaires et historiques. 

Comme le disait un grand penseur, l’art d’un homme d’État est l’art de trouver le bon moment pour agir.  

La rédaction

administrator,bbp_keymaster

Leave A Comment

Activer les notifications OK Non merci