« Cela dépasse mes espérances » : en Mauritanie, un barrage change la vie d’un village

Gvava Peulh, 700 habitants, revit grâce à la construction par les villageois d’une retenue d’eau qui a plus que doublé la surface cultivable de la commune.

En cette saison des pluies, l’Assaba, région du sud de la Mauritanie, ressemble à la plaine du Serengeti, cette savane immense qui s’étire entre le Kenya et la Tanzanie. L’herbe semble aussi fraîche que sur un terrain de golf. « C’est vrai, mais les apparences sont trompeuses », nuance El Hacen Kane, chef de bureau du Programme alimentaire mondial (PAM) à Kiffa, la capitale de l’Assaba : « Ici, la verdure ne dure qu’un mois par an. Le reste du temps, il fait 40 °C et on vit sous un soleil de plomb. »

Des habitants du village de Gvava Peulh, en Mauritanie, construisent une clôure pur protéger leurs récoltes, en septembre 2020. Pierre Lepidi

Au bout d’une piste semblable à un ruban soyeux se trouve le village de Gvava Peulh. Dans la région, tout le monde connaît cette commune de 700 âmes. Depuis un an, son territoire est scruté par les villageois des alentours, parfois même un peu envié. Fin 2018, les habitants se sont lancés, avec le soutien du PAM (couronné en 2020 par le prix Nobel de la paix pour ses efforts dans la lutte contre la faim), dans la construction d’une retenue d’eau circulaire qu’on surnomme parfois « la cuvette ». Grâce à cet ouvrage réalisé en une année dans le cadre de travaux communautaires, les villageois ont plus que doublé la surface cultivable de leur commune : elle est passée de 25 à 56 hectares. Chaque foyer de Gvava Peulh a ensuite reçu sa parcelle, dont la surface (entre 0,5 et 1 hectare) varie en fonction du nombre de bouches à nourrir et des revenus. Il n’en faut pas plus pour changer une vie.

Niébé, sorgho, maïs, courges…

Sous la « khaïma », la grande tente du village, Djeinaba Wassaba se frotte les mains. « On s’est mis à cultiver du niébé [une variété de haricots reconnue pour ses qualités nutritionnelles], du sorgho, du maïs ou des courges, alors qu’on n’avait jamais récolté cela ici », s’enthousiasme la teinturière, qui est également présidente du comité pour la nutrition de Gvava Peulh : « L’an dernier, chacun a obtenu suffisamment de légumes pour lui permettre de survivre. » Et les prochaines récoltes de décembre et janvier, grâce aux fortes pluies tombées en septembre, s’annoncent bonnes. « Le niébé s’est très bien vendu, se souvient Abou Sow, un habitant du village. Autrefois, à cause des sécheresses, les gens me demandaient souvent de les dépanner financièrement ou de leur faire crédit. Cette année, personne ne m’a rien demandé. »

L’Assaba, dont l’économie a été très affectée par les restrictions de déplacement liées à la pandémie de Covid-19, est une région qui vit essentiellement de petits commerces et de l’activité pastorale. Pendant la soudure, cette période de l’année qui précède les premières récoltes et où les greniers sont déjà presque vides, la viande se fait aussi rare, car les animaux partent en transhumance, en direction du Mali, à l’est. Mais cette année, dans un pays où un quart de la population est en situation d’insécurité alimentaire selon la Banque mondiale, les récoltes obtenues grâce à la retenue d’eau ont permis aux habitants de Gvava Peulh de conserver une partie de leur bétail.

D’autres conséquences de la « cuvette » ont aussi été appréciées. « Pendant les mois critiques de la soudure, les hommes quittaient souvent le village pour chercher du travail en ville, à Kiffa ou Nouakchott [la capitale de la Mauritanie, distante de 650 km]raconte Djeinaba Wassaba. Cette année, pour la première fois, ils sont restés. Chaque femme s’est réveillée avec son mari à côté d’elle. » 

« Un véritable réveil citoyen »

La construction du barrage, dont le périmètre de quatre kilomètres est fait d’un gabion et de pierres en grès, « a aussi permis à la nappe phréatique de remonter de douze à quatre mètres », se félicite Saidou El Hadj Husseinou Ba, âgé de 80 ans et chef de Gvava Peulh depuis un demi-siècle : « L’impact de la cuvette dépasse mes espérances. En plus de donner un supplément alimentaire à chaque foyer, le travail communautaire a renforcé la cohésion sociale entre les habitants. » Et le bouche-à-oreille a dépassé les frontières de la région. Au printemps, c’est une famille du Guidimakha, une région située au sud de l’Assaba, qui est venue s’installer à Gvava Peulh après avoir entendu parler du barrage.

Ce matin, toujours dans le cadre du travail communautaire, des villageois construisent des poteaux qui serviront à faire une clôture afin de préserver les cultures des animaux en divagation. « Je suis fière de participer à ces travaux agricoles, affirme Awa Yero Sow, une villageoise de 50 ans. J’ai le sentiment d’agir pour ma famille et pour mon village, dont la surface cultivable a été augmentée. Après toutes les difficultés que nous avons connues à cause du coronavirus, nous assistons maintenant à un véritable réveil citoyen. » Une forme de résilience au cœur de la Mauritanie.

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