Aldiouma est parti, vive Aldiouma

« Et je pense encore : combien de morts auraient pu survivre si, avant d’organiser ses funérailles en festin, le parent ou l’ami avait acheté l’ordonnance salvatrice ou payé l’hospitalisation ». (Une si longue lettre, Mariama Ba)

Des Aldiouma Cissokho, il y en a encore des dizaines de milliers coincés entre le Sénégal et le Mali. De grâce, ne les laissons pas mourir cette fois-ci loin de leurs terres. N’attendons pas d’autres disparitions pour saluer leurs mémoires ou dénoncer encore et encore l’injustice qu’ils vivent dans le temps (depuis leurs déplacements en 1989) et dans l’espace (l’inexistence administrative que vit la majorité d’entre eux. Rejetés par la Mauritanie, refusés par le pays d’accueil).

L’émotion est aujourd’hui grande. Seulement, après les réactions et les témoignages, les partages de vidéos et de photos, posons-nous une seule question :

Que voulait réellement Mr Aldiouma Cissokho ?

La réponse, après avoir passé plusieurs mois à l’interroger sur son parcours, me paraît évidente :rentrer dignement en Mauritanie. 

Malheureusement, il a vécu réfugié et il est mort et enterré réfugié à Diamaguène aux environs de la ville de Dakar au Sénégal. L’information nous a été transmise ce mercredi 3 février par son plus jeune fils âgé de 25 ans. 

Il ne rentrera donc plus jamais en Mauritanie. Mais est-ce étonnant ? Pendant qu’il se battait publiquement, nous lui avons tourné le dos. Nous l’avons ignoré. Nous avons bouché nos oreilles sur son appel à l’aide, nous avons fermé les yeux sur les conditions dans lesquelles il vivait. Lui bien sûr, mais à travers lui, l’ensemble des réfugiés. Aldiouma ne parlait jamais que pour lui. 

« Même s’il reste un seul réfugié Mauritanien au Sénégal, je ne quitterai pas Dakar » nous a t-il dit un jour. 

En 2016, lors de la célébration de la fête de l’indépendance du 28 novembre, il tient ce discours qui appelle à la mobilisation, à l’union et à la sensibilisation :

« Sachez que ce qui arrive, vous en faites partie. N’attendez pas qu’on vous appelle. Quand on est concerné par une chose, on doit se lever. Ce qu’il se passe en Mauritanie n’est pas beau à voir. Et cela n’a jamais été beau à voir. Levez-vous et sachez que nous sommes collectivement responsables. Si on parle de l’indépendance en Mauritanie, nous nous avons toujours un sentiment d’amertume. Nos cœurs ont été blessés. Le sang a coulé, ceux qui ont été tués sont nos frères, nos amis, nos camarades d’école.

Pour que la Mauritanie devienne un espace possible pour tous, il faut que toutes les communautés ethniques apprennent à s’unir. 

Ce jour (le 28 novembre 2016), nous devons le consacrer aux prières. Ceux qui se battent ne doivent pas être seuls, vous devez en faire partie. N’attendez pas qu’on vous appelle. La Mauritanie est notre Mauritanie. Vous devez monter que vous en faites partie. 

Et même s’il n’y avait qu’une seule personne ici, c’est suffisant. 

Qu’Allah nous assiste »

Il apparait clairement que Aldiouma Cissokho était sur tous les fronts dans le cadre de la lutte pour les droits humains et pour une Mauritanie unie, réconciliée avec son passé et avec elle-même. 

« Aimons-nous vivants »

En Afrique, nous avons cette coutume de dire du bien des morts. Ce qui est louable et même souhaitable. Nous avons également comme habitude de vouloir les aider quand ils disparaissent. Alors que cette aide et ses témoignages sont sans doute plus utiles pendant que la personne est encore en vie. 

En 2014, Aldiouma Cissokho, à travers lui, la coordination des réfugiés Mauritaniens, avait adressé une lettre au Président de la République du Sénégal Macky Sall. Il n’obtint aucun retour. Il me l’avait transmis en personne car je collecte tout ce qui peut être utile à la restitution fidèle de son parcours de vie

Lettre de Mr Cissokho Aldiouma

Il sollicita dans de nombreuses occasions guides religieux et activistes politiques, médias et acteurs de la société civile. Il participa à des centaines de rencontres, de discussions, d’échanges pour porter la voix des réfugiés Mauritaniens au Sénégal. Mais leurs situations empiraient de plus en plus. Entre pauvreté et famines, désespoir et solitude, j’ai découvert un homme digne qui a consacré sa vie à lutter pour la cause. 

Qu’aurions nous fait ? 

Une question indécente posée par ces « médecins après la mort » déguisés en « intellectuels de constat ». 

La question est plutôt qu’allons-nous faire à présent ? 

En fait, il y a toujours à faire. À faire, il y en a à revendre. Aldiouma n’a vécu que pour la seule cause des réfugiés. Leur dignité, leur retour dans la dignité. 

Les responsables politiques, les acteurs de la société civile, les citoyens doivent tous être en alerte pour le retour de ces Mauritaniens bloqués entre deux rives depuis plus de trois décennies. 

Les États Mauritanien et Sénégalais devront faire le nécessaire pour imprimer dans la mémoire collective la mémoire de Aldiouma Cissokho, ce vieil homme qui a vécu dans la dignité et mourut dans la dignité. 

Ils devront également résoudre définitivement la question de ces Mauritaniens qui n’ont plus aucun espoir et qui risqueront de périr les uns après les autres dans l’oubli, l’ignorance et même dans l’hypocrisie de chacun et de tous. 

Repose en paix camarade.

Mohamed Lam

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