Affaire OBONO : une banalisation de la haine

Ce n’est pas Danièle Obono qu’on a humiliée, ce sont des femmes et des hommes de nombreuses régions du monde qui sont souillés dans cette affaire. De telles cruautés n’auraient jamais vu le jour si on avait daigné définir des exigences communes autour de l’histoire de l’Atlantique. Et on ne peut pas avoir des exigences communes sans les exercices de résilience qui passeraient par l’abolition des mensonges enseignés à l’école et l’adoption des mesures équilibristes visant à confronter les points de vue pour définir une version épistémologique de cette histoire. On ne pourra jamais vivre le présent de manière apaisée tant que nos points de vue divergent politiquement sur le passé. L’esclavage est un crime. Il n’y a pas de débat sur cette question. On ne peut pas s’amuser à faire des caricatures douteuses et haineuses là-dessus. Se taire à soi-même la vérité de l’histoire de l’Atlantique c’est autoriser et encourager les insultes gratuites des curés de la haine de la paroisse Valeurs Actuelles.

GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

À dessein la Députée Danièle Obono est utilisée comme une couverture de surface ; cette couverture cache maladroitement une pensée racialiste et raciste qui tend à vulgariser ses relents pestilentiels pour mieux légitimer l’inégalable barbarie qui en résulte. Les auteurs de cette couverture sont nostalgiques de l’époque où des boulets verts peuplaient les profondeurs de l’Atlantique. L’inexistence des races n’est plus à démontrer. Il faut être un imbécile atteint d’une incurable aliénation séminale pour croire en l’existence des races et aux fixités idéologiques qui s’y rapportent. Précisons-le : il n’existe pas de blancheur et de noirceur dans les paysages épidermiques de la nature humaine. Les couleurs blanche et noire estampillées à l’humaine condition sont une forme de viol de la conscience qu’il faut combattre. Chaque couleur est associée à une « vision » du monde définie par les architectes de la raison coloniale qui établirent une hiérarchie entre les hommes selon leur appartenance géographique et culturelle. En ce sens, dans les dictionnaires le « blanc » symbolise la pureté, l’innocence ; et le « noir », le malheur, la tristesse. Il a fallu procéder par ce viol de la conscience pour que l’entreprise « civilisatrice » de l’action esclavagiste et coloniale soit acceptée et intégrée dans les consciences. La haine banalisée que nous vivons avec l’affaire Obono vient de là. Christiane Taubira (et bien d’autres) en a fait les frais aussi dans l’exercice de ses fonctions ministérielles. Il faut refuser de se faire inculquer le complexe d’infériorité et la peur de s’affirmer. Il est nécessaire de définir et de contrôler soi-même ses propres projections d’imaginaire sans se couper du monde tel qu’il va. 

Obono et ses semblables ne sont pas vus comme des humains, ils sont relégués dans une réserve de l’existence qui se trouve dans un état embryonnaire. C’est bien là le problème : le refus du droit à l’existence ! C’est une manière hautaine et sauvage de dire à Obono Députée de la République : ta place (toi et tes semblables) se situe dans l’ergastule et non dans l’hémicycle. Il y a là une volonté d’identique dans la représentation politique et médiatique. Cette volonté d’identique se nourrit des thèses mortifères de l’atavisme. Qu’on l’admette ou non, les souffles de l’hitlérisme et du Gobinisme habitent les auteurs de l’attaque contre Obono, les Africains et les Afrodescendants. Que les pseudo-journalistes de Valeurs Actuelles soient obsédés par l’Afrique et les Africains c’est une chose. Mais il y a du Hitler et du Gobineau en eux. C’est un fait ! Ils l’ont démontré dans leur « roman » de l’été. Ils aspirent non pas à révéler une réalité dissimulée, non pas à confronter les points de vue sur une histoire, mais à la domination absolue des uns sur les autres, comme ce fut le cas à l’époque de l’esclavage. Le déracinement des lianes de la haine passe par la déconstruction complète et définitive des doctrines racialistes et racistes qui ne visent qu’à « légitimer » dans les consciences les inégalités sociales et culturelles. 

Il ne faut pas seulement vomir unanimement les auteurs de ce « roman » ignoble, il faut les condamner pénalement. Les faits sont suffisamment graves pour aller vite et en finir avec cette haine gratuite et banalisée. Au-delà de cette hurlante sauvagerie qui n’est pas de date récente, c’est l’inaction politique contre ces allusions haineuses sur l’histoire de l’esclavage qui m’indigne au premier chef. 

Par ailleurs, s’il est nécessaire de légiférer sur la banalisation médiatique du racisme, il est urgent de s’occuper cliniquement de la déviation mentale des personnages qui l’incarnent. Et puisque vous nous parlez de maladresses, ne voyez-vous pas que cracher de telles inepties, dans les médias et dans la place publique, c’est encourager l’incroyable élan idéologique qui fut à l’origine de plusieurs siècles d’emberlificotage, d’infamie, de viol ? Si ces jeux périlleux gagnent les consciences pour aliéner davantage, la société périra dans son silence qui ronfle dans le silence. Il faut agir et vite ! 

Ethmane Sall alias Kaïlcédrat Sall

Poète, Docteur en Lettres – Spécialiste des littératures francophones du XX-XXIe siècles

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