Abdel Aziz face à la commission d’enquête parlementaire : qui va gagner le duel ?

En juillet 2020, la commission d’enquête parlementaire sur la gestion économique et financière de la décennie d’Abdel Aziz devra rendre public son rapport final. Jusqu’ici, plusieurs responsables, ex-directeurs de ports et d’établissements économiques publics, ont été entendus. D’anciens et des ministres en fonction, comme Yahya O.Hademine, Abdel Vettah et Mocktar O.Ndiaye ont répondu aux questions des parlementaires.

Compétences élargies : la commission sera-t-elle à la hauteur des enjeux?

L’ Assemblée nationale vient d’élargir les compétences de la dite commission. Ce qui signifie que son champ d’investigation a été étendu à d’autres dossiers. Elle pourra dorénavant entendre l’ancien président de la République, Mohamed O.Abdel Aziz et son Premier ministre, Moulaye O.Mohamed Laghdaf.Il s’agira de recueillir leurs versions sur :
Le fonds des revenus pétroliers (rien qu’au 31 décembre 2017, le solde du compte du Fonds national des revenus des hydrocarbures était de 74 millions de dollars, 74 944 109.03 exactement).
La gestion calamiteuse du patrimoine foncier étatique (l’école de la police, la vente aux enchères des écoles publiques, les blocs rouges).

Le contrat de pêche avec la société chinoise POLY-HONDONE PELAGIC FISHERY CO. d’une durée de 25 ans. En effet, en contrepartie d’autres émoulements versés à des tiers, l’État tablait sur investissement de 100 millions de dollars.
La gestion du fonds de la fondation de la SNIM (plus de 20 milliards d’ouguiyas) qui a servi à financer des infrastructures.

L’octroi du marché de la gestion des quais des conteneurs au Port mmmautonome de Nouakchott avec un contrat de 390 milliards de dollars américains au profil d’ARISE-Mauritanie SA binôme d’OLAM, une société singapourienne.

La liquidation de Sonimex qui a accumulé des déficits en cascade. 5 milliards en 2012, 18 milliards d’ouguiyas en 2016, et 10 milliards d’ouguiyas en 2017.

Et enfin, le marché de la SOMELEC avec une ardoise de 160 milliards de dollars destiné à l’éclairage public par l’énergie solaire.

Des centaines de milliers de dollars ont également été engloutis dans projets qui ne servaient qu’à enrichir le clan de l’ancien président.

Moulaye O. Laghdaf s’est fendu d’une mise au point : clarifier, lever les zones d’ombre et charger indirectement son ancien mentor. “Chat échaudé craint l’eau froide”. Concernant POLY-HONDONE, il précise : “ il ne fait aucun doute qu’un accord écrit a été conclu avec la société chinoise, mais je ne fais pas partie de ceux qui ont négocié”. Il ajoute n’avoir été au courant qu’au moment où le dossier devait être envoyé au Parlement pour approbation ou rejet. Au sujet du bradage du patrimoine foncier, O. Laghdaf affirme ne pas avoir non plus été au courant. Cela suppose que Mohamed O.Abdel Aziz était le seul maître à bord. C’est un secret de polichinelle. Dans une conférence de presse le 19 décembre dernier , l’ancien chef d’état mettait au défi quiconque démontrait qu’il s’était enrichi de façon illégale.

Il aura l’insigne honneur de prouver donc le contraire devant la commission d’enquête parlementaire qui envisage de l’entendre. Dans les milieux de ses proches, on indique qu’il n’a reçu à ce propos aucune convocation. Il se trouve dans l’Inchiri.

Obstacles constitutionnels et juridiques

L’article 93 de la nouvelle constitution,modifiée en 2017, stipule que le Président de la République n’est responsable dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison. Abdel Aziz avait pris ses dispositions en inscrivant dans la constitution qu’il ne pourra être jugé que par une haute cour de justice. Nous ne sommes qu’au niveau du Parlement. On rappelle que le président de cette même commission, Lemrabott Benanhi, avait déclaré que le fait de ne pas collaborer est une “obstruction à la loi, donc puni”.

Quels sont les obstacles constitutionnels et juridiques auxquels sera confronté la commission? Le Président Ghazouani avait promis de ne pas interférer dans le travail des parlementaires, changera-t-il d’avis levant la pression autour de son ami de 40 ans ? Abdel Aziz ira-t-il jusqu’au bout du duel et de la confrontation?

Dans le cadre de ses entretiens grand format, RMI a interviewé Lô Gourmo, universitaire, avocat spécialiste en droit constitutionnel et homme politique mauritanien.

“La Constitution ne règle pas tous les problèmes”

À la question de savoir si Abdel Aziz pouvait être entendu par la commission d’enquête parlementaire, le juriste confirme d’emblée que “la réponse, c’est oui, dans la mesure ou rien n’interdit à ce qu’un ancien chef de l’État soit entendu .”

Néanmoins, sur la question de la convocation d’un ancien chef de l’Etat, l’avocat nuance : “on est obligés de partir d’autres billets, de lire un certain nombre d’articles, de les interpréter pour avoir un sens ou une signification générale”.

Lô Gourmo prévient “qu’il y a le problème de l’immunité, notamment de savoir s’il bénéficie de protection contre un certain nombre d’atteintes lié à ses actes durant son règne ».

À ceux qui s’appuyent sur les prédispositions constitutionnelles, le professeur de droit rappelle que “la constitution ne règle tous les problèmes”. Pour Gourmo Lô, l’article 93, dont il est question dans ce cas de figure, signifie qu’il y a bien une “immunité mais qu’elle porte sur les actes que le chef de l’État a accomplis durant l’exercice de ses fonctions et celles qui ne pouvaient engager sa responsabilité que lorsqu’il s’agit d’actes qualifiés de haute trahison.”

Pour l’avocat, il revient à l’ancien chef de l’Etat de prendre ses responsabilités.

S’il estime que ce qu’on lui reproche rentre dans les cadres de l’exercice de sa fonction présidentielle, il est en droit de refuser de répondre s’il ne le souhaite pas. Car il est couvert.

Sur la question relative à la juridiction habilitée à juger Mohamed O.Abdel Aziz, Lô Gourmo relève qu’à la lumière de l’article 93 de la constitution “ l’ancien chef de l’État ne peut être jugé par n’importe quel tribunal lorsque les actes accomplis dans le cadre de sa fonction ne relèvent pas de la haute trahison.” Mais qu’en revanche, “tous les autres actes qu’il aura accompli mais ne pouvant pas être rattachés à l’exercice de sa fonction peuvent en effet être incriminés.”

Et pour lever toute dichotomie à propos des caractères des actes justiciables, le juriste souligne que “les actes commerciaux en cachette ou non ne relèvent pas de la fonction présidentielle. Dès lors qu’on souhaite entendre un chef sur des actes de commerce accomplis pendant l’exercice, ce dernier ne peut prétexter son statut de Président de la République. C’est le cas des actes de détournements en dehors de l’exercice de la fonction. A moment, ces actes sont parfaitement susceptibles d’être auditionné devant la commission parlementaire”.

La rédaction

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