Que vaut le serment de Mohamed Ould Abdel Aziz ?

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On rapporte qu’à la genèse de la démocratie athénienne, les droits du peuple étaient assurés par des règles strictes. Les premières assemblées qui décidaient de la vie de la cité étaient composées de membres choisis par tirage au sort. Une fois désignés, ils se présentaient au peuple lors d’une cérémonie publique. Celle-ci s’ouvrait par le sacrifice d’une bête, par une prière puis une malédiction énoncée à titre préventif contre les orateurs qui tenteraient de tromper le peuple. Les démagogues et usurpateurs étaient soumis à la sanctiongrafé para nomon, une action de justice publique destinée à garantir la bonne application des lois. Pour avoir édicté une proposition néfaste pour la cité, tout citoyen – du général au chef de la magistrature suprême – se voyait infliger une amende ou une perte de ses droits politiques. Dans certains cas, il pouvait même être frappé d’ostracisme et forcé à l’exil pendant plusieurs années.

Le serment des dignes

En Islam, après la mort du prophète Muhammad (Paix et Salut sur Lui), le premier investi dans sa fonction de Calife des croyants fut Abu Bakr Siddiq (RA). Les compagnons se  réunirent dans la cour des Banî Sâ ‘Idah pour lui prêter allégeance. C’est alors que le Véridique (RA) prononça son célèbre discours dans lequel il déclara « (…) Le plus fort d’entre vous pour moi est celui qui a été considéré par les autres comme faible jusqu’à ce que je lui rétablisse son droit, et le plus faible d’entre vous pour moi, est celui qui est considéré comme fort jusqu’à ce que je prenne de lui le droit qu’il a usurpé. Ô vous les gens je suis quelqu’un qui suit et je ne suis pas un [mauvais] innovateur. Si j’agis en bien aidez-moi, et si je n’agis pas en bien alors corrigez-moi ».

 

Chez les Peulhs, la prestation du serment constitue un événement incontournable. Quand il venait d’être enturbanné, l’Almami (chef) prononçait son discours du Trône dont voici la quintessence : « Que chacun veille sur son lieu, comme un berger sur son troupeau, que chacun garde son enclos, son parc à bétail, sa bergerie. Celui qui pénétrera dans votre enclos, qu’il soit saisi et amené devant moi, pour être jugé selon le Livre ».

 

Le représentant de la communauté des gouvernés, doyen des Grands électeurs et des feudataires s’adresse alors à l’Almami. Par ces paroles profondes, il investit le chef de sa nouvelle responsabilité: « Nous avons maintenant un successeur des Almamis. nous lui confions la religion, les misérables, les voyageurs, les vieillards. Il ne doit pas admettre qu’il soit fait tort impunément à qui que ce soit. Qu’il accueille la plainte de tous les meurtris, et rende à tous justice. Le Fuuta est sur ta tête comme une vase de lait frais. Ne trébuche pas, sinon le lait se répandrait. Dans la communauté musulmane, que tous soient justes et équitables, et si tous ne peuvent pas l’être, que les chefs au moins le soient. Dans la communauté musulmane, que tous soient résignés et patients, si tous ne peuvent l’être, que les gouvernés au moins le soient ».

 

Le serment violé

En Mauritanie, le Président de la République prête serment devant les membres du Conseil Constitutionnel. Selon l’article 29 de la Constitution, il jure la main sur le Coran en répétant ces propos : « Je jure par Allah l’Unique de bien et fidèlement remplir mes fonctions, dans le respect de la Constitution et des lois, de veiller à l’intérêt du peuple mauritanien, de sauvegarder l’indépendance et la souveraineté du pays, l’unité de la patrie et l’intégrité du territoire national. Je jure par Allah l’Unique de ne point prendre ni soutenir, directement ou indirectement, une initiative qui pourrait conduire à la révision des dispositions constitutionnelles relatives à la durée du mandat présidentiel et au régime de son renouvellement, prévues aux articles 26 et 28 de la présente Constitution.» 

 

On l’a constaté, l’essence sacrée de ces engagements s’évapore le plus souvent  dès la fin de la cérémonie d’investiture. Dans notre patrie, bien avant Mohamed Ould Abdel Aziz, d’autres avaient juré de faire de la Mauritanie un havre de paix. Hélas, ils se sont distingués par leurs politiques divisionnistes. Le premier fit le serment de faire de ce pays une terre de référence habitée par des frères siamois. Après lui, nous avons hérité des frères qui se regardent en chiens de faïence. Aujourd’hui, que reste-t-il encore de sa prière ? La haine viscérale de l’autre, puis le crime et, enfin, le déni. D’autres encore après Mokhtar Ould Daddah songèrent à moderniser le pays. Ils ont fini par s’allier aux vielles hiérarchies tribalistes et ethniques en confortant les uns et en opprimant les autres. La violation de la parole sacrée nous poursuit comme une malédiction. Nous voilà impitoyables dans notre pseudo-État moderne, incapables de fonder une nation.

 

Il suffit de scruter notre société, notre administration politique et publique, nos élites et nos cadres, nos religieux et notre jeunesse, pour réaliser le faramineux retard de la Mauritanie, au vu de ce qu’elle devrait être. L’illusion semble avoir congédié le bons sens.

 

L’illusion peut-elle faire vivre une nation ? Pourquoi notre élite et les éclaireurs s’y fourvoient-ils ?  Pourquoi nous aveugle-t-elle ? Qui pousse le petit peuple à s’y maintenir ? Qui pousse le politique à s’y mirer comme l’assoiffé courant derrière un mirage ? Est-ce pour se donner bonne conscience que chacun pose ses illusions sur un piédestal, ne jurant que par elles ? Sommes-nous victimes de la fatalité qui a atteint toutes ces nations paraplégiques ? Ou bien s’agit-il là des stigmates des serments non tenus ?

 

Le règne de l’injustice

Mohamed Ould Abdel Aziz se donne lui-même l’illusion d’être un président démocratiquement élu, à travers des élections qui ne sont pourtant libres et transparentes que de nom. Ce président auto-proclamé depuis août 2008 va exercer son second mandat après sept ans au pouvoir, dont un an et demi comme putschiste. Si celui-là est un démocrate, l’historien Lucien Romier avait raison de dire que la « démocratie est ce vocable sous lequel on peut construire n’importe quoi, et, par exemple, des factions, à plus forte raison une aristocratie ».

 

Grand ami et maître des despotes africains, l’homme gouverne le peuple comme s’il s’agissait d’une troupe de soldats du Basep. L’État, c’est lui. Du ministre au paysan édenté, tout le monde doit demeurer placidement sous sa coupe, tels les sujets avec leur roi. Ceux qui revendiquent un peu plus de respect et la dignité humaine sont réprimés par tous les moyens de coercition. La prison pour tous ceux qui osent contester : abolitionnistes, forgerons et noirs en premier lieu. Sous son règne, les allégeances tribales ont élu plus que les urnes. Partout, elles sont réactivées de manière encore plus stupide qu’au temps du dictateur sanguinaire Taya.

 

Sur le plan économique, les caisses de l’État se vident pour remplir les comptes des hommes d’affaires issus de sa tribu. Pour gagner un marché public, l’investisseur modeste devra se ranger inconditionnellement sous sa houlette ou celle des ses acolytes.

 

La transparence financière est une autre illusion exclusivement destinée aux naïfs. La banque centrale ne communique les recettes budgétaires ne que pour berner l’élite et donner de la matière aux laudateurs serviles.

 

Pour le premier trimestre de l’année 2014, elle annonce que 74 211 millions UM auraient été consacrés à l’élevage, à l’agriculture et à la pêche. Pourtant, les organisations humanitaires alertent sur la famine qui guette le monde rural. A cela il faut ajouter l’immense perte de cheptels dont les pouvoirs publics n’ont pas jugé bon de s’émouvoir. Enfin, grâce au laxisme étatique, les commerçants augmentent sans vergogne les prix des denrées de première nécessité.

 

474,57 millions d’Ouguiyas auraient été investis dans des travaux publics. Pourquoi les populations de Nouakchott ont-elles toujours les pieds qui trempent dans des eaux usées de l’hivernage dernier ? Les géographes ne cessent de prédire l’inondation imminente de la ville : qu’attend le raïs pour mettre en place des canalisations dans la capitale ? Ne parlons même pas des quartiers périphériques où le ravitaillement en eau potable et l’équipement en électricité restent des vœux pieux. Jamais l’éducation n’a été aussi chaotique que sous le règne de Mohamed Ould Abdel Aziz. Les derniers résultats du baccalauréat démontrent le manque cruel de vision pédagogique.

 

Quant à la sécurité des citoyens, la recrudescence alarmante des viols et des cambriolages témoigne du profond désintérêt présidentiel. Pire encore, après avoir mis à genoux la police nationale, il a fini par diviser notre armée en bastions prêts à s’entre-déchirer. Il honore ou désavoue qui il veut. Sinon, comment expliquer l’ostracisme que subissent ceux qui ne sont pas alliés à son régime..? Lors de sa prestation de serment, le Président justifiera de nouveau le recensement administratif, opération par laquelle il ordonne à ses lieutenants de définir arbitrairement qui est mauritanien et qui ne l’est pas.

 

S’il jure le jour de son investiture d’améliorer les conditions de vie des pauvres que la misère avilit dans les gasras et en milieu rural, il n’aura qu’à ajouter quelques mensonges de plus à ceux proférés il y a sept ans. En effet, son passage n’a rien changé pour les démunis qui deviennent toujours plus nombreux, tandis que les détournements des deniers publics enrichissent ses proches.

 

Rien à attendre du règne de ce président machiavélique qui a déçu tous les espoirs, violé tous les serments, et sacrifié la justice à l’autel de sa cupidité.

 

Bâ Sileye

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