Parution : Dissonances, mélodies sociales et politiques mauritaniennes

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Toute production scientifique vient pour réorganiser les schémas de la réflexion humaine. Elle apporte des éléments nouveaux à travers des analyses documentées, référencées et actualisées. Ainsi, le livre publié par Ndiaye Sidi et Ngaidé Abdarhamane, le jour même du lancement de la campagne électorale en Mauritanie, s’inscrit entièrement dans cette tradition scientifique. « Dissonances et mélodies sociales et politiques en Mauritanie[1] » : deux concepts qui semblent antinomiques. Et pourtant, c’est sur ces deux termes que les auteurs fondent leur analyse de la société mauritanienne. En effet, l’image de la dissonance ne dépeint-elle pas avec justesse l’univers sociopolitique imposé aux citoyens mauritaniens ?

 Le dictionnaire de la Langue Française (1980) définit ainsi le concept dissonance :
« rencontre de sons qui ne s’accordent pas, effet désagréable dû à leur succession ou à leur simultanéité ».Dissonance signifie par ailleurs discordance ou encore manque d’harmonie. Nous n’avons qu’à scruter notre entourage, nos quartiers, nos écoles, nos mosquées, nos hôpitaux, nos partis politiques, nos commissariats, nos palais de justice, nos ministères, nos hommes d’Etat… partout on n’observe que des disfonctionnements.

A travers ces « discussions aléatoires », les auteurs développent des analyses puisées dans nos références culturelles communes. La méthode est simple : saisir le tout par la partie, l’un par le multiple. L’objectif est manifeste : prendre acte avec humilité de ce que le paysage sociopolitique se donne à eux de manière parcellaire et discontinue… voilà en quelques mots, comme l’avait dit La Fontaine, « l’élégance laconique »des fragments qu’ils nous livrent.

Une réforme intellectuelle s’impose

L’ouvrage s’ouvre par des correspondances entre deux chercheurs mauritaniens qui travaillent sur des questions de controverses, mais ne se connaissent pas. Au fil des échanges, ils se découvrent et conçoivent un projet commun. Ecrire à quatre mains autour des dissonances d’une « communauté aseptisée » et des contradictions, quelquefois existentielles, qui bouleversent les mauritaniens. Rendre compte de nos brûlantes et cacophoniques réalités sociopolitiques.

Les problématiques qui y sont traités laissent entrevoir une nation malade. Un Etat qui suffoque sous le poids des incohérences de ses hommes politiques. Des individus qui se retrouvent désarmés face aux mutations sociales et économiques. Une nation dans laquelle le clergé escamote subrepticement les valeurs religieuses.

Un corps social et politique hémiplégique

Ngaidé et Ndiaye savent bien qu’il ne s’agit pas seulement de décrire, expliquer ou interpréter des faits sociaux majeurs. Il faut définir des paradigmes afin d’extirper nos collectivités de la stagnation. Ils montrent les chemins et cadres incontournables pour l’émancipation.

Il paraîtra certes paradoxal de lire que la « souveraineté culturelle » constitue entre autre l’un des facteurs émancipateurs. Comment expliquer alors que l’Etat refuse de réintégrer dignement les rapatriés et pire encore, réprime sauvagement et sans honte la marche de ces derniers. Ou encore qu’il prive des milliers de ses fils de papiers d’Etat civil.

Les interprétations autour des ambitions politiques de Biram Dah Abeid, « le loup de Chamama », y côtoient quelques lignes sur  l’héritage de Massaoud Ould Boulkheir, le Patriache des haratines. A ceux qui demandent comment s’opèrent les transformations après le « trauma », l’exil et l’errance, les auteurs préconisent un sacrifice interne. Entamer la rupture avec les mentalités d’enfermement, d’orgueil et de suspicion :

« Pour faire émerger l’événement-vrai, il nous semble nécessaire de rompre avec le temps du discours (…) La cause d’un peuple ne peut être sacrifiée sur l’autel des humeurs des uns et des autres ». Page 85.

Ils nous le signifient, le défi aujourd’hui est de réussir à faire converger toutes les forces vives afin de propulser un changement. Les jeunes doivent s’affranchir des « considérations castratrices », lesquelles ont miné tout processus d’unification des mouvements de lutte.

Beethoven et rappeurs : même combat

Beethoven a dit une chose tout aussi impétueuse, téméraire et noble que le meilleur de son œuvre : « Celui qui comprend ma musique ne peut jamais connaître le malheur ». Là, le génie beethovien célébre autre chose que les notes mélancoliques qui se jouent dans les opéras. C’est dire que la musique a d’autres fonctions que celle qu’on lui assigne : adoucir les mœurs. On fait de la musique pour conjurer un sort. On écoute de la musique pour oublier nos peines. On se sert de la musique pour crier son ras-le-bol. Ainsi, le rap est un genre musical qui sensibilise et galvanise les populations déshéritées. Pour les deux chercheurs, c’est évident :« Tout nous incite au rap en Mauritanie. Tout. Nous disons bien tout avec le rythme nécessaire et la symbolique figurative des doigts pointés partout où le mal se trouve » (p.56). La marginalisation de cet art s’explique par le fait qu’il expose sur la place publique l’hypocrisie des dirigeants. Cette « mise en clips » est au centre des interrogations des deux chercheurs.

Toutefois, on peut adresser quelques critiques. L’une sur la forme des textes proposés. Pourquoi un historien et un politiste font-ils recours à un genre littéraire pour exposer des thèses scientifiques ? S’ils laissent entendre que ce livre jette un regard critique afin d’aider le Mauritanien à s’affranchir des déterminismes sociaux et idéologiques, il eût été judicieux d’approfondir sur quelques thématiques. Par exemple sur l’élection présidentielle, l’argument avancé consiste à dire qu’il s’agit là d’un écran de fumée. Pourquoi avoir occulté le bilan du président sortant, ses manquements et ses dérives. ? Sur le fond, soulignons  que les deux auteurs proposent des textes, souvent sans lien les uns aux autres. Certains s’y égareront peut-être. Les auteurs nous indiquent en conclusion que ce style « irrévérencieux » a pour objectif de tracer des lignes d’interprétation des vies sociales et politiques mauritaniennes et de laisser au lecteur la liberté de recevoir et d’interpréter. Enfin, à mon sens, le grand trou théorique de ce livre est l’absence de vision quant à l’émergence d’une conscience citoyenne collective.

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