Mohamed Ould Abdelaziz écroué : la Mauritanie ne doit pas se laisser influencer

L’incarcération, le 22 juin, de l’ancien président suscite de l’émoi. Mais l’Afrique n’est pas un village et la Mauritanie ne doit pas choisir ou juger ses dirigeants en fonction des règles appliquées par les autres pays. 

Chaque fois que j’interviens sur la Mauritanie, je dois, par honnêteté intellectuelle, signaler mon attachement à ce rude pays de dunes et d’océan, cette terre « multiple et une » – pour reprendre les mots de Césaire –, que je connais très bien. J’aime ce peuple avec ses fières populations bigarrées, bagarreuses, cette nation « avec ses bourrelets et ses nodules » qui, vaille que vaille, dans sa « tumultueuse péripétie » – ni plus ni moins tumultueuse que celles des autres –, essaie de se reconstruire. Alors quand j’apprends dans la presse les déboires de l’ancien président Mohamed Ould Abdelaziz, je m’arrête et je considère. Et dans ma tristesse, je me console en me disant qu’il ne s’agit pas d’une énième condamnation sommaire du pays pour esclavage moderne. Piètre consolation, bien évidemment. Et je me dis que la Mauritanie, c’est la Mauritanie!

Un ancien président de la République sous les verrous, ce n’est pas banal. Mais c’est l’ère qui le veut. De nos jours, les démêlés des grands de ce monde avec la justice se ramassent à la pelle sur tous les trottoirs de la planète. La spécificité mauritanienne, disent certains, c’est que l’homme n’est pas encore condamné. Mais il existe une mesure tout à fait légale nommée « détention préventive »…

Diktat de la limitation des mandats

Je dois avouer que j’ai désapprouvé le départ d’Aziz, il avait fait du très bon boulot et j’aurais voulu qu’il le poursuive, tout comme j’avais demandé à Ely Ould Mohamed Vall – nous étions proches et j’avais écrit un livre sur son expérience au pouvoir – de continuer son travail. Les deux n’en ont fait qu’à leur tête, mais par la suite, n’ont pas échappé à la tentation de cette espèce de messianisme, de démiurgie.

Ce qui m’interpelle, ce sont les raisons qui justifieraient, toujours selon certains, que Ould Abdelaziz bénéficie d’un régime de faveur. On porte à son crédit le fait qu’il est un des rares à avoir quitté le pouvoir sans rechigner, au terme de son second mandat. Respecter la Constitution serait-il un exploit donnant droit à des égards ? On dit aussi, ici ou là, que sa mise en détention pourrait encourager certains dirigeants à multiplier les prétextes pour tenter de s’accrocher au pouvoir. J’ignore si ceux-là ont besoin de pirouettes et de prétextes, de faux alibis pour faire ce qu’ils veulent.

Un ancien président est un justiciable comme tous les autres citoyens. Il peut d’ailleurs être sa propre victime en oubliant cela, s’il est confronté à un successeur barbare. Aujourd’hui, le Soudanais Omar el-Béchir est en prison. Le Sud-Africain Jacob Zuma vient d’être condamné à quinze mois de prison pour outrage à la justice après son refus de comparaître devant la commission anti-corruption. Leurs condamnations seraient-elles contreproductives au motif qu’elles pourraient inciter tel ou tel dirigeant à ne pas quitter le pouvoir ?

L’autre tentation, c’est celle de partir sans vraiment le faire, d’essayer de continuer à tirer les ficelles, de considérer le nouvel élu comme un obligé. Celle-là, on l’a observée jadis au Cameroun, mais aussi plus récemment en Mauritanie. La forme la plus achevée, la plus artistique, s’est déroulée en Russie, bien loin de l’Afrique.

QUAND ON A UN BON LEADER,  MIEUX VAUT LE GARDER

Par ailleurs, je ne vois pas en quoi la longévité aux commandes d’un pays serait inacceptable ou antidémocratique – bien au contraire – si le peuple le veut et s’il est satisfait de son leader. Mieux, la valse des dirigeants suprêmes n’est pas bonne pour les pays en crise ou en développement. N’est-ce pas la monarchie qui a développé toute l’Europe ! En quoi le diktat de la limitation de mandats pensée par les pays développés serait-elle démocratique ? Ces pays peuvent évoluer avec des dirigeants insanes ou malades (je ne donnerai pas de nom) ou sans dirigeant du tout – situation courante en Belgique –, alors que les jeunes nations ont besoin d’hommes forts et éclairés pour mener à bien leur renaissance, construire leur identité et leur développement. Et quand on en a un bon, mieux vaut le garder.

La théorie du « tous pareils »

Mais mon principal problème se situe à un autre niveau. Je ressens de la gêne que des Africains considèrent leur continent comme une entité villageoise dont les membres devraient respecter des règles uniformes. Ne serait-ce pas de l’essentialisation ? La persistance de la théorie du « tous pareils » ! Devrait-on renoncer à appliquer des modèles propres à tel ou tel pays pour ne pas permettre à des indélicats d’autres pays de trouver un prétexte pour rester au pouvoir ?

J’exhorte les Africains à en finir avec la facilité des analyses prédigérées. L’uniformité africaine n’est que de façade. Je voudrais aussi leur demander de ne pas s’aliéner à des modèles d’un universalisme douteux, d’inventer des modèles qui correspondent à leur histoire, à leur nature, à leur culture. La Mauritanie n’est pas le Mali, le Cameroun ou le Tchad. Elle n’est pas le Malawi ou l’Afrique du Sud. La Mauritanie est mauritanienne et rien d’autre !

N’INVOQUONS PAS LES MODÈLES AFRICAINS POUR FAIRE LA LEÇON À LA MAURITANIE

Il fut un temps où le pouvoir s’y gagnait par des coups d’État. Certes, c’était le cas dans beaucoup de pays africains. La spécificité mauritanienne, c’était qu’aucune puissance étrangère n’y était mêlée. On faisait son coup d’État tout seul, sans aide extérieure. On en usait de la même manière que, jadis aux États-Unis, on optait pour l’assassinat des présidents dont on voulait se débarrasser sans perdre de temps à attendre les élections. Depuis la sortie de l’horrible régime Ould Taya, en 2005, et l’intermède Ely Ould Mohamed Vall, les choses évoluent vaille que vaille. La Mauritanie s’est mise au travail et son développement, ces dix dernières années, est exceptionnel, tout le monde en convient. Cependant, tout reste fragile, nous le savons. Mieux, ils le savent très bien.

Ne cherchons donc pas à tirer des leçons du modèle mauritanien pour instruire le procès de l’Afrique. N’invoquons pas les modèles africains pour faire la leçon à la Mauritanie. Une fois pour toute, essayons de ne plus regarder l’Afrique comme un village dont les différents clans seraient soumis au même modèle.

Gaston Kelman / Jeune Afrique

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