La Mauritanie est-elle en mesure d’offrir une éducation de qualité à sa jeunesse ?

Le discours sur l’éducation en Mauritanie est bien souvent sombre, empreint de soupirs face à un constat  d’échec du système éducatif qui s’est dégradé de manière croissante. Des enseignements sont devenus source de catégorisation et de marginalisation de certains groupes de population. De même, la scolarisation des filles et des femmes, voire toute la génération, est vouée à l’échec. Pour autant, une certaine perspective s’impose : l’éducation pour tous existe depuis fort longtemps dans tous les pays du monde. On sait qu’en matière d’éducation, tout commence dans la famille et de la maternelle et à  l’école.

Parler de crise inexorable de l’éducation de la jeunesse mauritanienne, c’est vouloir éplucher tous les articles et les rapports alarmants des organisations nationales et internationales relatives                                      à l’Education Pour Tous (EPT). Depuis fort longtemps, l’enseignement et le système éducatif plus généralement n’ont pas produit des effets concrets sur la population. Sous nos yeux, les défis sont majeurs : éducation, formation et insertion professionnelle des jeunes, car elle occupe un rôle incontournable dans d’une politique de développement et de lutte contre les inégalités sociales. La question de l’éducation et le développement, en effet, vont de pair, du fait qu’ils sont  interdépendants dans ce pays qui aspire au développement  économique et à la démocratisation des institutions.

De la famille vers l’école, l’éducation reste un droit fondamental  dans l’existence de l’être humain. Toutes sortes de politiques éducatives  montrent combien il est essentiel  de promouvoir l’éducation pour tous. Elle n’est pas seulement un droit de la personne, elle est aussi un secteur essentiel pour le développement. Eduquer, c’est apprendre à grandir, à être autonome pour transmettre des valeurs, raison pour lesquelles elle constitue un droit fondamental et inaliénable.

L’Organisation des Nations Unies pour l’Education la Science et la Culture (UNESCO, 2000) note : « le  droit à l’éducation a été inscrit en 1945 selon les principes fondamentaux de non-discrimination, de l’égalité réelle des chances et des valeurs universelles entre les citoyens ».  Le rapport souligne que l’objectif de  l’éducation de qualité pour tous a été d’assurer une bonne transmission de l’enseignement égalitaire visant à élargir des connaissances, des compétences  de base pour toute la génération. Cela implique fortement qu’en Mauritanie, il est temps de réfléchir sur les politiques éducatives sérieuses pour que les jeunes  retrouvent le chemin de l’école et  le goût pour l’éducation, étant donné qu’elle participe à la construction de la société et d’une génération capable d’agir en toute égalité et d’assumer le sens de ses responsabilités. Tout me laisse dire que la Mauritanie doit améliorer la qualité de son système éducatif.

Un des rapports de synthèse sur « l’éducation et développement » publiés en 2003 par l’ONU  a reconnu explicitement que l’éducation et en particulier l’enseignement primaire sont indispensables pour le progrès économique et social. De plus, la communauté internationale insiste sur l’importance de l’éducation des filles et des femmes qui sont perçues comme des actrices de développement dans tous les domaines. On constate que « l’éducation explique en grande partie les inégalités. Améliorer l’accès à l’enseignement, à la formation professionnelle  est la solution ultime pour mettre fin aux inégalités » scolaires. (FMI  2017). L’éducation facilite les échanges et transmet les savoirs et les savoir-faire entre les citoyens. Comme l’a bien constaté Montaigne : « Il vaut mieux des têtes bien faites que des têtes bien pleines », cela permet de réduire les préjuges liés au degré d’éducation des jeunes.

L’idée selon laquelle « prévenir les préjugés, c’est compenser les inégalités » désigne souvent les politiques de l’éducation qui s’inscrivent dans la non-reconnaissance sociale des « populations sous représentées ». Il nous parait qu’une bonne éducation pour tous est une science qui souffre en Mauritanie, cette belle science humaine qui conduit l’homme à agir et à interagir pour comprendre le monde et les multiples enjeux qui en découlent.  La tendance est que le droit de l’éducation doit être réinventé dans le plan de développement en Mauritanie. En ce sens, « l’éducation est un passeport pour l’avenir, car demain appartient à ceux qui s’y sont préparés aujourd’hui ». constate Malcom X.

Cela fait plus qu’un demi-siècle que l’éducation est reconnue comme un droit humain fondamental par la communauté internationale. Les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) consacrent l’éducation comme un moyen indispensable pour les individus. Pour cela, elle occupe une place primordiale dans une société en développement qui s’articule avec le droit des citoyens. L’éducation permet à l’individu de devenir plus autonome, de s’épanouir et d’élargir le champ de ses libertés de penser et d’agir… La question est de savoir si nous sommes en mesure, l’Etat Mauritanien en particulier, de prendre des mesures globales afin d’atteindre « la culture de l’éducation  et le développement durable ». (Rapport, « Système Educatif Mauritanien », paru en 2011, Département du développement humain, Région Afrique/Banque mondiale).

 

La Mauritanie peut-elle se développer et construire une société éduquée sans inclure les filles et les femmes, notamment ?  En quel sens faut-il que la Mauritanie s’approprie la science de l’éducation égalitaire entre les citoyens afin de lutter contre toutes formes d’inégalités primaires ? L’éducation n’est pas seulement une fin en soi, mais aussi un moyen de réaliser des projets concrets centrés sur le développement  sectoriel, régional et national. Dans ce sens, l’Unesco souligne en 2015 « qu’on ne peut réellement parvenir au développement durable que par des efforts  globaux et trans-sectoriels qui commencent par l’éducation ». Elle reste la base de toute perspective de projet de développement économique qui permettrait de redonner à la jeunesse le sens de l’action créatrice.

Par ailleurs, il faut souligner que la Mauritanie a connu deux grandes réformes du système éducatif, essentiellement avec l’arabe en 1973 et le français en 1999.  Beaucoup d’observateurs de la politique de l’éducation présentent ces reformes à deux vitesses, dans la mesure où  la population se trouve en embarras de choix en matière d’orientation et de formation. Disons-le autrement, au nord habitent des Maures  berbères « arabisés » qui ont bénéficié  des enseignements de la langue arabe associés aux pratiques d’un système éducatif voilé, c’est-à-dire par des pré-recrutements et des pré-enseignements  pour les concours d’entrée dans les écoles de magistrats et officiers de police judiciaire, tandis qu’au sud, la forte concentration des négro africains « francisés » qui ont bénéficié dans  leur grande majorité de l’enseignement de la langue française avec ses disciplines littéraires, se destine tant bien que mal davantage aux métiers de l’enseignement avec  leur représentativité dans les postes moins évolutifs.

Ces types de pratiques éducatives ont-elles eu des effets bénéfiques sur les citoyens mauritaniens? Ces systèmes éducatifs qui hiérarchisent, catégorisent et séparent les citoyens conduiront-ils à des graves clivages ethnoraciaux ou ethnoculturels, à des replis et des frustrations entre les communautés ?

Certains  jeunes sont souvent démunis face aux rythmes scolaires intenses, aux « réformes mal comprises » et aux « mauvaises qualités des enseignements » qui y sont associées. D’un point de vue politique, le système éducatif mauritanien est complexe dans le sens où les deux langues arabe et français se déchirent dans les établissements scolaires et universitaires. Disons-le, c’est l’école des    « fils de pauvres » contre l’école des « fils de riches ». Autrement dit, les familles socialement et économiquement défavorisées, d’un côté, placent leurs enfants, avec des contraintes financières, dans les quartiers comme 5eme ou 6eme arrondissement, notamment dans les établissements public   et, de l’autre, les élites politiques préfèrent placer leurs enfants au 1eme ou 2eme arrondissement  dans les écoles privées de Nouakchott.  Force est de constater que l’argent reste le nerf de la guerre pour les enfants les plus défavorisés qui ont bénéficié de l’enseignement le moins qualitatif dans les quartiers sensibles de Nouakchott. Cela  montre bien que les inégalités scolaires à l’école demeurent  sources d’inquiétude en Mauritanie. De même, les pratiques des enseignements inégalitaires dont souffrent les classes moyennes vont grandissantes dans les écoles publiques. C’est la reproduction culturelle  qui se propage dans les structures éducatives, en fonction des milieux sociaux différents des jeunes et ces faits amplifient les stigmatisations de toute une génération qui promeut le droit à l’éducation et l’égalité entre les citoyens.

L’éducation de qualité pour tous permet de reconnaitre l’égalité de traitement dans tous les milieux scolaires, elle est le signe d’une bonne santé démocratique.  Dans le même sens, l’UNESCO souligne en 2017 : l’éducation est une science  qui permet de mettre « un pied d’égalité entre les citoyens et de promouvoir la possibilité d’épanouissement, d’apprentissage tout au long de la vie ».  Promouvoir l’éducation et la formation tout au long de la vie rentre dans le cadre des pratiques du droit international. A cette fin, il convient de favoriser l’égalité, étant donné que « l’école participe à la reproduction des inégalités sociales et légitime ces inégalités par des discours méritocratiques. Elle transmuerait ainsi l’héritage différencié de certains dispositions culturelles en inégalité sociale et rendrait acceptables ces inégalités en les attribuant aux mérites personnels des élèves ». (Pierre BOURDIEU, « La Reproduction Sociale », paru en 2011, p, 69, N°166).

Il est temps qu’une bonne politique éducative soit instaurée en Mauritanie. Pour cela, nous proposons des mesures nécessaires : les états généraux de l’éducation doivent  réfléchir à long terme sur la pratique des politiques éducatives basées sur le droit  afin d’améliorer les conditions de vie des citoyens. Car l’éducation permet de « s’échapper de l’ignorance », en tout cas de réduire la « pauvreté intellectuelle ».

L’urgence  est de penser la formation des enseignants et la rénovation des écoles publiques dégradées, bradées et transformées de manière inquiétante en boutiques.  Cela permettra de faciliter le retour des enfants sur les bancs des écoles en leur donnant espoir qu’ils seront porteurs de projets. Il s’agit donc d’identifier les mesures efficaces afin de lutter contre les déperditions et décrochages scolaires dont les jeunes sont victimes. En effet, la « rétention des élèves dans le système éducatif  jusqu’à la fin du cycle fondamental constitue un défi majeur dans les années            à venir, car on sait que les enfants qui quittent prématurément leurs études avant la fin du cycle seront potentiellement des adultes analphabètes ». (Unesco, « Rapport mondial de suivi de l’éducation pour tous », paru 2011, p.23).

 

Pour qu’un enseignement soit égalitaire, il faut commencer par inclure les jeunes filles et les femmes, car ce sont ces dernières qui  bénéficient des « enseignements moins qualitatifs ». Une telle nécessité doit s’imposer dans tous les établissements (école primaire, lycée, centre de formation professionnelle, université). Il est vital que le corps enseignant s’attache à  promouvoir  les valeurs de l’éducation des filles dès le plus jeune âge afin de réduire  l’analphabétisme et le décrochage scolaire qui y sont associés.

Il est important que la Mauritanie s’inscrive dans les pays de développement. Pour cela, elle doit opérer un véritable changement ou une révolution copernicienne qui dépasse la simple appartenance à l’esprit communautaire (qui est un des acquis majeurs de l’Afrique de l’Ouest). L’urgence est de promouvoir une éducation basée sur  le droit international et l’égalité réelle,…

Enfin, ces propositions démontrent que l’accent doit être mis sur des politiques de développement humain, culturel et spirituel par l’éducation en particulier. Il est vital que la Mauritanie progresse vers des systèmes éducatifs plus performants et plus équitables.

Abdoulaye SY                                                                                                                                          Université Lyon II

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