Maman Sambo Sidikou « …la réponse réside dans notre capacité à rectifier les disparités… »

Diplomate chevronné au parcours riche, M. Maman Sambo Sidikou quitte ce samedi le Secrétariat Exécutif du G5 Sahel pour une nouvelle mission de représentant de l’Union Africaine pour le Mali et le Sahel. Fin connaisseur de la bande sahélo-saharienne, M. Maman Sambo Sidikou qui  a marqué ses collaborateurs au siège du G5 Sahel, revient sur les 3 ans qu’il a passé en terre mauritanienne au service d’une nouvelle forme de diplomatie sous régionale alliant sécurité et développement. 

Vous arrivez au terme de votre mandat de Secrétaire Exécutif du G5 Sahel, quel bilan faites-vous après plus de 3 ans à la tête de cette organisation ? 

En 2018, je suis devenu le deuxième secrétaire permanent d’un mécanisme de coopération créé quatre ans plus tôt par cinq États (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad).

Avec un siège à Nouakchott (Mauritanie) et un double mandat (développement et sécurité), il a d’abord fallu identifier notre capacité à « faire la différence » dans un vaste espace (5 millions de kilomètres carrés) où vivent près de 80 millions d’habitants (weblink, film institutionnel du G5 SAHEL).

Les priorités définies, nous avons ciblé les vecteurs d’intégration régionale. Notre autonomie opérationnelle tout d’abord, avec la création d’un instrument financier dédié à notre coopération dans le domaine de la défense. Il s’agit du fonds fiduciaire dédié à la Force Conjointe, qui est hébergé par la Banque centrale de Mauritanie.

La formation, ensuite – notamment avec le Collège de Défense de Nouakchott, où des officiers mis à disposition par les Etats-majors de nos Etats apprennent à travailler ensemble pour la stabilité de notre région.

Il faut aussi investir dans nos infrastructures – ce que nous avons fait pour chaque pays. En Mauritanie, nous avons contribué à sécuriser le financement de la route Tidjikdja – Boumdeid – Kankossa – Sélibaby (d’une longueur de 350 km).

Mais tout cela n’est rien sans un travail opiniâtre, dans les zones frontalières entre nos Etats, afin que confiance et coopération entre administration et citoyens renforcent une « sécurité de proximité ».

C’est le travail que nous avons initié dans nos Etats-membres, en particulier à Gogui Zemal et Gogui, à la frontière entre Mauritanie et Mali.

Je crois d’ailleurs que vous aviez relayé le film en six langues sahéliennes (arabe, bambara, français, hassanya, pulaar, soninké et wolof), que nous avions publié à cette occasion (weblink).

Cet effort a été accompli avec nos Etats et les organisations (régionales/continentales) dont il sont membres – il est essentiel et vise à nous approcher des Sahéliens, de leurs besoins et de leurs aspirations légitimes en faveur d’une prospérité partagée (weblink, « programme » publié sur Jeune Afrique, 22 mai 2018)

– Le déploiement et l’opérationnalité de la Force Conjointe ne sont-ils pas menacés avec la reconfiguration de l’opération Barkhane ? 

La reconfiguration de Barkhane est une opportunité pour que la Force Conjointe joue pleinement son rôle – avec ses alliés, au sein de la Coalition pour le Sahel.

Mais votre question m’offre l’opportunité de poursuivre le travail de pédagogie qui doit nécessairement accompagner le renforcement de cette initiative sans précédent.

En 2017, nos Etats membres ont soumis leur projet de création d’une coalition militaire au Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union africaine – qui a approuvé son mandat et l’a reconduit, depuis, chaque année.

Le quartier-général de la Force Conjointe se trouve à Bamako – ce que les militaires appellent un « poste de commandement interarmées de théâtre (PCIAT).

A ce jour, elle a mené un peu plus de 21 opérations militaires dans ses fuseaux « ouest » (Mali/Mauritanie : DAREA), centre (Burkina Faso/Mali/Niger : PAGNALI 2-3/SAMPARGA 3 / SAMA 1-2) et « est » (Niger/Tchad : AMANE 2/OBANNA 1-2-3).

Indice de l’importance de son œuvre, les Chefs d’Etat ont allongé la durée du mandat de son responsable – passée d’un à deux ans.

Et le Président en exercice du G5 SAHEL – le Général Mahamat Idriss Déby Itno – vient de décorer le Général Oumarou Namata Gassama (Niger) pour sa contribution à la montée en gamme soutenue de notre Force Conjointe.

Cette dignité marque la fin de son mandat et souligne le fort soutien politique dont jouit cet outil de défense collective.

Les opérations militaires se poursuivent – car il y va de la capacité de nos pays à ne pas céder devant les escarmouches, embuscades, mines anti personnelles et autres attaques d’autant plus fulgurantes qu’elles sont parfois menées par des « bombes humaines » mues par des pulsions suicidaires.

Elles ont un prix humain effroyable, pour nos soldats, leurs familles et les citoyens. Je me suis incliné sur les tombes de certains, ai visité des blessés et sais que cette guerre est avant tout un drame pour nombre de Sahéliens.

Elle coûte cher aux finances de nos Etats. A la demande du Conseil des Ministres (3 février 2019), le G5 SAHEL a réalisé une « étude sur les dépenses de sécurité et leurs effets d’éviction sur le financement des investissements notamment au niveau des secteurs sociaux ».

En effet, nous devons expliquer aux Sahéliens que ces sacrifices visent à les protéger. C’est pourquoi le G5 SAHEL a mis sur pied une « composante police » et un « Mécanisme d’Identification, de Suivi et d’Analyse des Dommages causés aux Civils ».

Car, croyez-moi, le respect des civils est une valeur fondamentale qui ne doit souffrir aucune exception. Permettez-moi une citation.

En 1751, dans un ouvrage intitulé « Les biographies des pachas du (blad as-) Soudan [Kitāb Tadhkirat al-nisyān fī akhbār mulūk al-Sūdān], il est question d’‘Ughmar b. Alad (m. 1755), un chef de guerre qui « annonça à tous ses hommes qu’aucun d’entre eux ne doit faire le moindre mal aux habitants de Tombouctou ».

On dit qu’«il savait que ceux qui étaient restés dans la ville étaient les juristes, les étudiants, les commerçants, les pauvres et les femmes. Seuls les brigands et les guerriers avaient abandonné la ville et il s’apprêtait à les combattre ».

Par conséquent, protéger les civils dans l’espace G5 SAHEL n’est rien d’autre qu’une mise en conformité avec notre histoire et nos valeurs.

– De l’intérieur de l’organisation vous avez vu ses forces et faiblesses, alors selon vous comment devrait évoluer le G5 Sahel pour relever les défis multidimensionnels à venir ? 

Des efforts sont en cours – comme la réforme du Secrétariat exécutif, au terme d’une évaluation et avec l’accompagnement d’un cabinet de conseil. C’est aussi le cas de la Stratégie pour le développement et la sécurité, adoptée voici cinq ans – lors de la précédente présidence tournante du Tchad (2016) – et que l’organisation met actuellement à jour.

Le G5 SAHEL n’a pas vocation à remplacer les efforts, considérables, des Etats et des Sahéliens – en tant que citoyens, entrepreneurs ou membres de la société civile.

Conformément à notre principe du « faire-faire », dans les zones frontalières, il faut obtenir un impact en recourant au « contenu local » – de la conception des interventions jusqu’à leur mise en œuvre.

Lors du sommet de Nouakchott (2 juillet 2018), le G5 SAHEL a décidé que le Programme d’urgence pour la stabilisation des espaces frontaliers (PDU) appuie « les communautés et institutions locales dans (…) le renforcement de la cohésion sociale ».

Ceci suppose financement, assistance technique et capacité de mise en œuvre. Notre coopération avec l’UEMOA et une association d’élus burkinabè, maliens et nigériens a permis la réussite d’un projet pilote investissant dans l’économie agropastorale et la santé.

A l’heure actuelle, il s’ancre dans les espaces transfrontaliers, soutient les collectivités décentralisées et finance des PME et des associations « efficaces ».

C’est ce que je retiens de mes années (passées à toute allure), mais je préfère laisser le soin aux Etats-membres, aux Sahéliens et à mon successeur – l’ambassadeur TIARE YEMDAOGO Eric – d’évaluer le travail accompli et de trouver des solutions aux défis existant – et à venir.

– Prêt de 65% des populations du G5 Sahel, soit plus de 50 millions d’individus, ont moins de 30 ans, et ce sont les plus perméables au discours terroriste, alors comment faire d’eux les moteurs du changement ? 

La confiance entre générations est importante – et je parle en tant que grand-père – mon expérience mis à part, mes petit-enfants et mes enfants m’éclipsent dans bien des domaines, notamment ceux liés au monde digital.

Pour revenir à votre question, notre travail a consisté à donner aux jeunes les outils pour  s’informer, échanger entre eux et avec les autres et de révéler leurs potentiels.

Avec les organisations internationales dont nos Etats sont membres, nous avons conçu et mis sur pied la Radio Jeunesse Sahel – lancée voici quelque mois ainsi qu’un projet d’appui à l’esprit d’entreprise.

Ce travail est en cours, avec le concours de l’OIF et de la BAD. Nous espérons qu’il portera ses fruits.

Je suis persuadé qu’une partie de la réponse à l’instabilité que nous connaissons réside dans notre capacité à rectifier des disparités qui mettent en péril la stabilité et la pérennité de nos sociétés.

Le meilleur investissement contre le terrorisme est la prévention. Je la comprends comme la capacité de bien former filles et garçons, de créer des emplois utiles et d’investir pour réaliser l’important potentiel de notre région.Tout cela doit se nourrir de valeurs ancrées dans notre culture et conformes aux défis d’aujourd’hui et demain. Ce n’est pas simple, mais c’est la tâche exaltante qui attend votre génération …

– Que retenez-vous de la Mauritanie après y avoir passé plus de 3 ans ?

Je retiens d’abord la remarquable hospitalité d’un peuple riche de sa diversité – un accueil conforme au Coran (s. 51, v.24-27) et à la Sounna.

Cette terre a d’ailleurs accueilli avant moi un de mes regrettés oncles, El hadj Omar Amadou (m. 2009), qui a étudié à Boutilimit alors que la Mauritanie n’était pas encore indépendante.

Pour le G5 SAHEL, la Mauritanie est plus qu’un pays fondateur, c’est celui où se trouve le siège de notre institution – ce qui confère à Nouakchott un rôle d’importance régionale de l’Atlantique au bassin du lac Tchad.

J’en veux pour preuve le protocole d’accord signé voici quelques jours avec le patronat mauritanien – qui assume la présidence (tournante) du secteur privé sahélien.

Je retiens aussi le leadership des régulateurs et des opérateurs mauritaniens vers la suppression des frais d’itinérance (roaming) pour les consommateurs de nos Etats membres.

C’est pourquoi l’important appui fourni par les autorités, la société civile et les habitants de ce pays resteront dans mon cœur. J’ai eu plaisir à travailler ici, pour le G5 SAHEL et ses citoyens.

Enfin, dans ce pays au « million de poètes », réputé pour ces villes où commerce et recherche/partage du savoir prospéraient au niveau international, permettez-moi de citer quelques conseils d’un homme de droit de l’époque des Almoravides.

Le cadi d’Azougui, al-Imam al-Hadrami (1020-1095) est assurément un important contributeur de la « bonne gouvernance » saharo-sahélienne – et j’ai plusieurs fois médité ses conseils durant mon séjour parmi vous.

« Que le dirigeant aborde son ennemi par la souplesse, la conciliation, le sacrifice, la recherche de la communication et le calme. (…) Il ne doit décider de lui faire la guerre qu’une fois toutes les ruses épuisées. Les sages ont dit : « (…) dans la guerre on dépense la vie, et dans les autres choses on dépense l’argent » […] Sache que la réconciliation est une forme de guerre qui permet d’empêcher les ennemis de faire le mal. (…) il se peut que ton ennemi obtienne par sa taille modeste ce dont est incapable son adversaire avec sa grandeur, comme l’épée qui tranche la tête tout en étant incapable de coudre – comme l’aiguille ».

Le temps me semble venu d’investir (plus) dans la cohésion sociale, pour renouer le fil de nos relations et rendre au Sahel la prospérité qui a fait sa grandeur.

C’est d’ailleurs ce que le G5 SAHEL a tenté de faire en appuyant les initiatives sahéliennes, tel « Hottungo » une manifestation rassemblant éleveurs et agriculteurs du Niger et soulignant l’importance économique de la chaîne de valeur agropastorale reliant la bande saharo-sahélienne à l’Afrique de l’ouest et du centre.

Propos recueillis par Diallo Saidou 

14/07/2021


Kassataya

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