Les séquestrés d’Etat ou la conséquence d’une incompétence notoire

Mamadou Kalidou BA – Cher compatriotes,

Hier soir lundi 30 mars j’ai signé un court récit de notre aventure sous le titre « Du confinement à la séquestration ».

Dans cet écrit paru sur Cridem, Al Akhbar et dans de nombreuses autres plateformes d’information, je relatais les faits qui m’ont amené à déclarer que tous nos droits élémentaires étaient foulés au pied par ceux-là mêmes qui devaient les garantir en la matière, en l’occurrence le ministère de la santé et celui de l’intérieur.

Aujourd’hui je vous propose une analyse pour aider les uns et les autres à comprendre ce qui se serait passé et qui a aboutit à notre séquestration.

Je rappelle encore à ceux qui n’auront pas lu mon texte d’hier que je suis arrivé à Nouakchott en même temps qu’un groupe de mauritaniens le 16 mars 2020 à bord d’un vol d’air France. Nous avons été isolés dans plusieurs hôtels de Nouakchott pour s’assurer que nous étions indemnes ou pas de toute contagion au covid 19. J’étais évidemment très content d’être soumis à cette mesure préventive pour ne pas être un éventuel nouveau cas dans notre pays.

Selon la majorité des spécialistes qui se sont exprimés sur cette question, le virus du corona 19 avait un temps d’incubation dans le corps humain de 10 à 14 jours maximum. C’est pourquoi, il a été décidé que notre isolement préventif devait durer 14 jours. Puisque notre isolement total a commencé le 16 mars, il devait donc se terminer logiquement le 29 mars 2020.

Pendant le temps que dura notre isolement les seuls visites que nous avions étaient ceux de l’infirmier et du médecin. Le premier passait avec son thermomètre pour prendre, matin et après-midi, la température de notre corps et le premier pour nous poser toujours la même question « aywa ça va ? » et d’ajouter « alhamdoulihahi ». Un jour je déclarais au médecin que j’étais enrhumé et que je toussais un peu le matin.

A ma grande surprise, il ne me consulta point. Lorsque le surlendemain, j’insistais auprès de la réception de l’hôtel notre médecin se décida malgré lui à me consulter pour que je n’ameute pas tout le monde. Il conclut que c’était juste un petit rhume et me promit de m’apporter « tout à l’heure » des médicaments. Jusqu’aujourd’hui, j’attends toujours ces médicaments. L’ordonnance aurait été déposée au ministère pour être achetée …

Et les gens du ministère de la santé trop occupés à élaborer un plan de dépense des de 2 des 5 milliards annoncés, ont dû oublier par inadvertance mon ordonnance. Après trois jours d’attente, je me suis rappelé le remède de ma mère et demandé au livreur de repas de m’apporter du Laï. Je me suis traité avec succès en mâchant du Laï pendant les repas.

Si un(e) autre confiné(e) a connu la même négligence, si en plus cette personne a le malheur de trainer une quelconque maladie chronique diabète, hypertension artérielle, obésité… alors il n’est pas étonnant que son cas ait abouti à des complications aux conséquences irréversibles. Est-ce le cas de cette compatriote qui vient de perdre la vie ? On ne le saura jamais puisque dans notre pays, la transparence lorsqu’elle est proclamée, est souvent destinée à faire effet de discours.

Rappelez-vous le vocal de ce médecin de Kaédi rétablissant la vérité sur un mensonge déroutant de nos autorités et que le ministre de la santé a menacé de sanction dans son allocution d’hier. Transparence ne rime jamais avec musellement Messieurs les ministres !

Toujours est-il que le 30 mars, de 8h à 18h l’envoyé du ministère de la santé nous a donné plus de 4 rendez-vous pour nous libérer de notre isolement. Tous se sont avérés être de vulgaires mensonges. Lorsque « notre » médecin consent enfin à se présenter devant l’accueil de notre hôtel où il trouva déjà beaucoup parmi les confinés prêts à partir, n’attendant que lui, il nous délivra nos « attestations de sortie ». Nous devrions juste attendre que les véhicules de la commission soient là puisque le couvre-feu a commencé…

C’est à, que nous vîmes les signes d’un retournement spectaculaire de la situation : l’hôtelier ferma la porte d’entrée à clef alors que la gendarmerie se mettait en position visible pour nous faire comprendre que nous n’étions pas autorisés à sortir. Interrogeant le propriétaire de l’hôtel, celui-ci nous dit qu’il venait d’avoir « des instructions fermes » » selon lesquelles, nous devrions remonter dans nos chambres. Jamais je ne me suis senti aussi infantilisé de ma vie ! « Montez dans vos chambres » ! C’est tout !

Le même ministère de la santé qui venait de nous délivrer des attestations de sortie (que j’ai toujours en ma possession) vient nous enfermer une minute après ! C’est pire que de l’incompétence c’est de l’amateurisme à moins que ce ne soit l’habitude de dire et de se dédire. Aucune explication ! Ceux qui furent intimidés par le changement de la situation montèrent. Moi je répondis que je ne montais point! Et que la gendarmerie n’avait qu’à m’y conduire de force ou mieux encore, en prison, comme savent bien le faire nos bidasses !

Des coups de fils passés ça et là ont fini par nous apprendre qu’une compatriote qui serait venue dans le même vol que nous, mais confinée ailleurs, serait brusquement décédée après son séjour de confinement. D’autres nous diront qu’elle a été testée, après sa mort, au covid 19.

Ainsi donc, c’était à nous, qui nous sommes conformés en tout aux mesures de nos autorités, de payer pour leur incompétence caractérisée qui a causé la mort de notre concitoyenne. Pourquoi a-t-on attendu qu’elle soit morte pour lui faire faire un test qui était déjà disponible ? Comment est-ce que les médecins chargés de son suivi pendant les 14 jours de son confinement n’ont pu détecter le moindre signe de son infection ? Qui a choisi ces médecins entre des centaines d’autres ? Ces médecins sont-ils des spécialistes de maladies infectieuses ? Y’aurait-il eu, comme on en a l’habitude, du népotisme, du favoritisme et tous les autres « ismes » qui gangrènent notre pays, dans le chois du personnel de suivi de cette épidémie pour laquelle, rappelons-le, des milliards sont agités ?

Moi qui pensais que nous avions une petite longueur d’avance sur la pandémie ! Ce que je puis affirmer c’est que tout le système est honteusement grippé. Et je ne suis pas d’accord de subir les conséquences de l’incompétence des autres et des tares qui plombent la gouvernance de notre pays. Je ne suis pas d’accord de me retrouver, du jour au lendemain, l’otage d’un Etat qui n’assume pas ses responsabilités.

Oui, chers concitoyens, mes voisins et moi de l’hôtel Ziwanya et d’ailleurs, sommes devenus depuis ce lundi 30 mars les séquestrés de nos autorités qui nous retiennent contre notre gré sans daigner nous fournir une explication en tout cas scientifique, du moins rationnelle. Aujourd’hui c’est nous qui subissons le revers, mais demain ce sera un de vous autres.

Peut-être que mon internet sera rompu, mon téléphone confisqué ou subirai-je d’autres formes de répressions, ce qui est certain, c’est que je ne me coucherai pas ! Et si demain vous ne me lisez pas, comprenez que je suis muselé, car totalement à leur merci.

Une rumeur, car personne ne s’adresse officiellement à nous, nous apprend que notre isolement serait prolongés. Si aucune explication valable ne m’est donnée, à partir de mercredi, je m’engagerai dans une grève de la faim pour mettre fin à ma détention arbitraire ou mourir. Car il est grand temps que dans notre pays on arrête de traiter les citoyens comme de vulgaires pillons.

Nouakchott, le 31 mars 2020.

Pr Mamadou Kalidou BA

administrator,bbp_keymaster

Leave A Comment

Activer les notifications OK Non merci