L’édito de RMI : les femmes de Thiambène

« Le paysan est un homme qui travaille avec le mot propriété »

Jean GionoIMG_2466

Déportées en 1989 puis dépossédées de leurs terres ancestrales, voilà maintenant que les femmes de Thiambène ont été jetées en prison depuis le 25 mai 2015 pour avoir osé défendre leurs propriétés. Elles sont quatorze et deux hommes. Leur imam avec eux pour avoir hurlé devant l’oppresseur et son escadron de forces de l’ordre qu’Allah le Très-Haut a dit : « Et ne laissez point votre haine pour un peuple vous inciter à être injustes. Soyez justes ; cela est plus proche de la piété » (S5 :V8). Pour cette parole, il a été saisi et écroué à Rosso. Pour la même cause, Biram Dah Abeid, Brahim Bilal Ramdan, Djiby Sow et Bâ Mamadou Soma, dit Balass, croupissent également en prison.

Depuis près de deux décennies, la population de Thiambène se bat pour la restitution des ses terres. Celles-ci sont confisquées par une famille installée sur les lieux qui récolte chaque année un juteux champ de mangues planté par la population villageoise avant leurs déportations massives dans les années 89-91. Prétextant la détention d’un titre foncier usurpé, cette famille s’arroge le droit d’occuper, de chasser et d’emprisonner cette population sans autre forme de procès. Là se manifeste tout simplement l’oppression des forts, qui usent de tous les pouvoirs pour écraser les faibles. Sinon, comment expliquer le fait qu’en l’espace de deux décennies ces pauvres femmes aient été trainées devant les tribunaux à plus de trois reprises? Ailleurs aussi, sur tout le long de la vallée, des villages entiers subissent des expropriations de leurs terres cultivables, au nom d’une loi foncière oppressive et raciste qui ne date pas d’aujourd’hui.

La vallée du fleuve Sénégal : Bienvenue en terre occupée !

En 1983, l’Etat s’est engagé dans un processus de réforme foncière. La vallée du fleuve Sénégal, et plus particulièrement la région du Trarza-Est, a été choisie comme zone expérimentale. Les autorités avaient négligé la menace que représentait l’implantation des nouveaux dépositaires des titres fonciers vis-à-vis des propriétaires des titres coutumiers. N’importe quel responsable administratif peut octroyer un titre foncier à un homme d’affaire, mais il ne pourra jamais effacer de la conscience collective le fait qu’un domaine reste inaliénable. Un paysan ne peut être ainsi dessaisi de son droit de propriété. Il vit et meurt pour sa terre.

Le dessein étatique d’accaparement des terres a été institutionnalisé à travers différents décrets obsolètes. Progressivement, on est passé de la « terre appartient à nation » (article 1, ordonnance n°83-127 du 5 juin 1983), au principe de mise en valeur « des terres mortes » où l’Etat se confond avec des individualités, pour finir, sous Taya, avec des autorisations d’exploiter à titre « précaire et révocable ». Ainsi, la dernière procédure signa et justifia clairement les accaparements et expropriations de nos jours. Pire encore, le comble de cette tragédie foncière a atteint son paroxysme au milieu des déportations massives des années 90. A travers le décret n°90.020 de 1990, l’Etat est parvenu à régulariser en trois étapes des attributions de terres, déjà concédées de manière illégitime : autorisation d’exploiter, concession provisoire et concession définitive. Un processus supervisé au sein de commissions consultatives formées exclusivement de valets du système – préfets, walis, maires et autres civils malléables.

A cette réglementation, vient s’ajouter le régime dérogatoire institué pour hallaliser les occupations non conformes au régime foncier normal. Ici, certaines règles de la jurisprudence malikite ont encore été instrumentalisées à des fins d’accaparement abjectes. L’Etat mauritanien avait imaginé un conflit pour régler ses comptes avec ses propres fils. Profiter des déportations des Noirs afin de redistribuer leurs terres à certains chefs tribaux, à des militaires et hommes d’affaires qui lorgnaient sur les fertiles terres de la vallée. Et on connait la suite… les tragédies humaines naissent lorsque les prétentions des dirigeants deviennent démesurées.

A Thiambène ou partout ailleurs dans les contrées du sud de la Mauritanie, au milieu des déportations et des exactions extra-judiciaires, la démarche des militaires et des responsables étatiques se limitait à encadrer ou à appuyer l’occupation des terres. Il n’y a plus aucun doute, comme le fait aujourd’hui le gouvernement de Mohamed Ould Abdel Aziz, l’implication des pouvoirs publics dans cette politique d’accaparement dénote de l’existence d’une politique officielle d’expropriation ou de réoccupation des terres des agriculteurs peuls, wolofs ou soninké.

Depuis les événements de 1989, la masse des Haratines réclame toujours son droit à des terres agricoles. Les quelques rares subordonnés placés sur quelques lopins ça et là sont de temps à autres déguerpis par leurs anciens maîtres. La majorité des agriculteurs et éleveurs peuls, soninkés et wolofs rapatriés revendiquent eux aussi toujours leur terre. Etant, hélas, dans l’incapacité de résoudre leurs problèmes économiques, le système s’emploie toujours à transférer les problèmes. La réalité en est que les expropriations et les terres réquisitionnées n’ont profité qu’à une élite militaro-politique. La vallée du fleuve Sénégal est une terre occupée par une poignée d’hommes soutenus et armés par l’Etat mauritanien. Le cas de Donaye et Thiambène en est l’illustration parfaite.

En Mauritanie, on peut expulser un homme à cause sa race et confisquer sa terre, ses biens, ses commerces, ses vaches, ses chèvres, ses ânes… et même son cimetière, sans que cela n’émeuve aucun dirigeant. A Thiambène, les anges se plaignent de l’injustice des hommes tandis que les démons jubilent avec les injustes terrés dans les champs confisqués. Que font les lieutenants d’Allah de ce pays ?

Ba Sileye

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