La victoire du peuple

Le soulèvement populaire le soir du holp-up électoral du 22 juin 2019 en Mauritanie est une magnifique page de notre histoire politique et sociale. Il était spontané, rassurant et très explosif. Comme une étoile dans l’immensité de notre univers, il était brûlant, solide et déterminé. Cette révolte va métamorphoser radicalement notre regard sur le peuple mauritanien et notre manière de faire de la politique. Elle a soulevé des questions existentielles, secoué l’arche à partir duquel est accroché le trône dictatorial, relevé la nature moribonde de nos journalistes, de nos hommes de pensée et de nos oulémas. Enjambant fièrement les rues de la capitale, avec courage et patriotisme, ces jeunes noirs des quartiers populaires de la Mauritanie se sont exprimés pour réclamer une société juste, égalitaire et démocratique. Elle s’est imposée dans tous les coins et recoins, dans tous les villages et quartiers, dans toutes rues et ruelles. Dans la frustration et dans la misère, dans la pauvreté et le mépris, cette expression de la colère populaire était mauritanienne. Puisant dans nos différences et dans notre « multiculturalité », cette fronde, juste et légitime, s’est affichée avec ses malheurs et sa frustration, son désarroi et son désespoir pour réclamer le respect de leur expression.

Cette surprenante fumée de la révolution avant les flammes de la rupture, dans son sublime visage et ses défauts, dessine une nouvelle trajectoire, un nouveau projet de société et une nouvelle ère.

Remettant en cause les codes et les normes établis, dénonçant les privilèges révoltants de nos politico-militaires et exposant sa peine et sa souffrance, le peuple mauritanien, fragile et frileux, se retrouve au centre de toutes les discussions. Les réactionnaires éclairés se réjouissent de ce réveil citoyen tandis que les bourgeois de la grande tente surfent sur la peur et la manipulation pour écraser les espoirs de tout un peuple. Dès ses premières expressions, la révolte des « sans pains » et les oubliés de la République a été accueillie par les gouvernants par des gaz lacrymogènes, des tirs par balles réelles et une très forte campagne de discréditation. A cela, s’ajoute cette éternelle stratégie politique qui consiste à influencer les faibles d’esprits et à véhiculer de fausses informations. Cette fois-ci, nous avons été bien servis. Un complot extérieur visant à déstabiliser la Mauritanie était au menu. Bien qu’elle soit l’expression brute et juste de la colère populaire face à la cupidité des gouvernants, cette révolte se soldera inéluctablement par un échec. Elle se noiera dans la violence des puissants et dans la lassitude des insurgés. Cependant, pour songer à un soulèvement encore plus intense et structuré, il faut que nous étudions efficacement la question, déterminer les points et moyens d’actions. Et surtout, écarter intelligemment les esprits de la discorde et s’organiser sur des principes de liberté, d’égalité, de justice.

Pour eux, les gouvernants, nous sommes faibles, sans aucune ambition et des éternels esclaves à la botte de la grande bourgeoisie mafio-tribale et inconsciente. Pour la reconstruction de notre État, nous serons appelés à nous dresser contre les dérives autoritaires du pouvoir et de sa cupidité mortifère. Pour la justice et la paix, notre pays se plongera dans des crises. Des crises profondes et ravageuses. Elles seront les témoins de nos combats et les vecteurs de notre évolution sociale et politique.  Quant-il y aura des crises, il sera extrêmement difficile d’analyser les contours de celles-ci. Elles seront incontrôlables, explosives et meurtrières. Pour un changement effectif de l’ordre social, la perte de vies humaines et la destruction de nos structures économiques seront le prix à payer. D’aucuns d’entre nous ne souhaitent la disparition à jamais d’une vie humaine pour assurer une meilleure vie aux survivants pendant des révolutions populaires et sociales. Bien que cette peur de prendre un de nos proches nous hante, il est primordial de rester serein, de penser à ce beau futur que l’on dessine pour nos enfants et à ce magnifique pays qu’on chérit tous.

© RFI/Paulina Zidi

Notre histoire ne s’arrêtera pas là. Elle sera la résultante de nos actions, de nos combats et le produit de nos volontés. Elle continuera à nous décrire, décrire nos désirs les plus profonds et de nos envies. Les gouvernants ont une part de responsabilité dans cette histoire et dans notre futur mais ils ne sont pas indispensables pour la réalisation de la volonté du peuple. Dans le futur, face à notre dirigeant, nous serons les faiseurs de lois et des faiseurs de présidents parce que le peuple est souverain et c’est à lui de tracer les lignes de son avenir. Nous serons libres dans nos choix, déterminés dans nos positions et écoutés par nos représentants. La naissance d’une société humaine et tolérante est parsemée d’embûches et très difficile à maîtriser. Dans ce long périple il faut que nous acceptions d’être souillés, d’être haïs, d’être opprimés et même de subir les violences les plus inhumaines. Dans ces circonstances pensons à ces nouveaux possibles, ces nouvelles opportunités, à ces nouvelles règles, à l’innovation et à l’épanouissement des générations futures. Notre combat est un combat à long terme contre un système féodal et esclavagiste, contre une mafia meurtrière et très structurée et contre les pilleurs et les voleurs de nos richesses. Les printemps arabes, la révolte des moines, la révolution burkinabé et les luttes contre les inégalités sociales qui secouent notre monde nous montrent qu’il est possible de démolir un ordre social établi pour en créer un autre. Une nouvelle société avec une vision nouvelle qui se tournera vers l’avenir.

Cette fois-ci, malgré la détermination du peuple mauritanien, cette révolte sera engloutie par le système avec nos espoirs et nos aspirations. Néanmoins, ce soulèvement nous a permis de nous exprimer, d’exprimer nos souffrances et il nous a montré l’ampleur de notre force. Dorénavant, les politiques ne seront plus des électrons libres qui travaillent pour une mafia mais des élus du peuple et des serviteurs du peuple. Pour analyser efficacement cette nouvelle donnée dans les rapports entre gouvernés et gouvernants, notre objectif est de comprendre la colère du peuple et de donner une analyse profonde de l’avenir de notre pays et de ce qu’il traverse actuellement. Notre première préoccupation résulte dans cette exigence scientifique qui consiste à se référer à l’histoire pour pouvoir amorcer efficacement une explication plausible et raisonnée. L’histoire des mouvements sociaux en Mauritanie dont celui-ci en particulier. La particularité de cette vague de contestation après les élections présidentielles est le résultat des politiques publiques inefficaces, la mauvaise gouvernance, le clientélisme, le népotisme, le chômage, la discrimination, le racisme, l’esclavage. Pour cela, nous serons appelés à convoquer l’histoire, étudier les faits, proposer une analyse juste et équilibrée. Pour préserver la stabilité de notre pays, soyons les maîtres de notre destinée et les garants de nos libertés. Nous sommes les acteurs de notre histoire et faisons en sorte que la paresse et l’immobilisme disparaissent pour laisser place à l’innovation et à l’expression de la volonté du peuple dans toute son hétérogénéité. Ce soulèvement est éphémère mais indispensable pour une révolte encore plus organisée, structurée et intelligente. Il a créé un sentiment de peur chez les gouvernants et ouvert la porte à toutes les opportunités. Celles de libérer l’intelligence de la jeunesse, de libérer les Esclaves, de penser à une nouvelle Mauritanie avec ses spécificités et ses particularités. Les politiques discriminatoires et racistes ont commencé il y a au moins une cinquantaine d’années. Tous les régimes ont participé à la marginalisation des noirs, à la misère des noirs, à la pauvreté des noirs et à la déstabilisation de la Mauritanie.

Encore une fois la victoire du peuple est usurpée par les militaires ! De la caserne au palais présidentiel, le chemin fut long et arrosé de sang d’innocents citoyens. De 1978 à nos jours, entre coup de force et tir de fusils, bain de sang et déportation, nos militaires, violents et avides, prennent la Mauritanie en otage. Le soir du 22 juin restera encore dans les mémoires collectives et dans l’histoire politique mauritanienne comme le soir du réveil populaire, du début de la fin de la gouvernance militaire et les prémisses d’une nouvelle ère.

Baba Galle KIDE

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