La réforme radicale

« L’individu est impuissant (c’est d’ailleurs ce qu’il ressent bien souvent) a « supposer des solutions », voire tout simplement à réagir face aux problèmes qu’il identifie, tout en étant pourtant convaincu qu’il faudrait « faire quelque chose pour les résoudre »
De l’engagement dans une époque obscure, Miguel Benasayag/Angelina Del Rey, le passager clandestin, p.132.

La politique et ses turbulences sont fascinantes et complexes. Elles sont assujetties aux différentes sensibilités et aux multiples métamorphoses que subissent nos sociétés. Ces transformations sont aussi vieilles que nos modèles politiques et sont de toute évidence, en changement et en connexion avec le développement de nos économies et les caprices que nous impose la mondialisation. Une ère nouvelle se dessine en effaçant sur son passage toutes les faiblesses, toutes les failles et toutes les énergies capables d’octroyer à nos sociétés une nouvelle image et une nouvelle trajectoire. Le développement économique, les rouages de la société et les changements de nos modèles politiques sont liés à la mentalité des individus qui composent nos communautés. Cette mentalité se traduit dans des phénomènes qui, à chaque période de notre existence, accompagnent les intentions, les actions et les différents questionnements qui structurent nos sociétés. Notre monde est le portait géant de nos diverses origines, crispations, faiblesses, blessures et aspirations…qui sont en conformité avec la mentalité de ceux qui le composent. La Mauritanie n’échappe pas à ces réalités qui imposent une vision nouvelle de la société, enchaînée par les cordes capitalistes et enfermée dans une bulle étouffante et qui, sur son chemin, emprisonne la pensée critique, les revendications populaires et la réalisation des volontés du peuple. C’est cette atmosphère polluée par la corruption, le népotisme, le clientélisme politique, l’analphabétisme, la pauvreté… qui freine les luttes pour la liberté, la justice et l’instauration des principes de modernité politique au sein de l’appareil étatique. En analysant les facteurs majeurs qui freinent le développement de nos économies, l’absence de la démocratie et les différentes manifestations du peuple, un constat amer pointe son nez et devient une hypothèse intéressante qui explique la naïveté, l’impuissance et la soumission du peuple mauritanien à un modèle politique destructeur, corrompu et dangereux.

 

Ce constat – hypothèse prend sa cohérence au sein de nos communautés et aux divers défis qui font lois face aux initiatives individuelles et collectives. Un manque profond de civisme et d’éducation sur le monde et ses différentes branches sont des éléments majeurs qui nous donnent un bout d’explication sur la passivité du peuple mauritanien, sa soumission à un tyran capricieux et les différentes expériences politiques qui n’ont pour objectif que de tester les timides positions des partis d’opposition, la défiance du peuple et son attachement à ses valeurs les plus fondamentales. Au-delà de l’aspect politique, la question socialo-économique reste une énigme à déchiffrer et ne cesse de faire trembler les plumes de ceux qui conceptualisent nos réalités sociales. Elle est énigmatique dans sa forme et dans son fond. Elle modifie les comportements et les habitudes des individus qui, dans des profondes mutations, se retrouvent enfermés dans un monde cruel et injuste. Un monde où les puissances économiques font loi et tiennent la liesse aux instances socialo-religieuses. C’est dans cette volonté de maintenir le bas peuple et les oubliés de la société dans les couloirs de la peur, de la soumission, de la misère et de la pauvreté que ces instances véhiculent d’une manière irréfléchie les directives ravageuses des instances économiques et politiques.   Il suffit de se plonger dans les rouages de nos institutions économiques, politiques et dans le quotidien de nos concitoyens pour se rendre compte de cette dictature .

 

La légitimité de l’existence d’une société telle qu’elle soit, réside dans ses capacités à affronter les défis de son époque et de se positionner comme bouclier contre toute dérive ( sociale dangereuse, politique, fanatique…) et de tout archaïsme invisible qui emporte avec lui toutes les innovations possibles et toutes les opportunités capables de donner naissance à des « nouveaux possibles », des « nouveaux comportements de gestion du quotidien » pour reprendre les mots de M. Benasayag et d’A. Del Rey. Ces nouveaux champs de résistance et ces nouvelles manières d’analyser nos sociétés révèlent cette impuissance croissante de ces dernières face aux agissements barbares de ses sujets et de cette urgence essentielle de réformer radicalement nos structures sociales, politiques et économiques. La question des castes, la pratique de l’esclavage, les modèles politiques1, éducatifs2 et économiques que nous avons adoptés sont de toute évidence « classiques » et contre productifs. La question des castes dans nos sociétés traditionnelles demeure tabou et sensible. Elle est liée à la mentalité archaïque de certains éléments de la sphère sociale qui, dans une ignorance contagieuse s’auto-proclament représentant de Dieu sur terre et gardiens de nos traditions, de nos coutumes et de nos mœurs. C’est dans ces circonstances digne de moyen âge que ces derniers exploitent les plus faibles et les plus pauvres. De fait, la pratique esclavagiste se retrouve confondu avec des survivances ou des pratiques sociales modernes qui encerclent les esclaves dans une situation de dépendance et de soumission à un maître. Quelques soient les théories sur la pratique esclavagiste en Mauritanie, elle reste ancrée dans le subconscient des noirs mauritaniens et dans les habitudes et le quotidien des arabo-berbéres mauritaniens. Quand on dit réforme, on est dans un dialogue entre nos structures sociales, politiques et économiques et nos diverses conceptions réformistes. Un dialogue profond et dénudé de tout préjugé et de toute pré – notion. Des tables de discussion, des comités de réflexions et d’interprétation intelligente de nos propositions et de notre volonté citoyenne de métamorphoser radicalement les fondements de nos modèles socio-politiques et économiques sont des vecteurs majeurs pour une transformation efficace et pragmatique.

 

Chaque époque a donc des mythes, et la notre n’échappe pas à la règle : son mythe central raconte, en l’occurrence, que l’humanité est une somme « d’individus », sortes d’électrons libres se promenant dans le décor de la réalité, sans racines, affinités électives, ni appartenances3. Cette affirmation sociologiquement occidentale souligne à quel point les questionnements sur la diversité, la justice, la liberté, l’affection…sont essentiels dans un monde où des passions véhiculent les intentions et les actions d’une frustrée partie de la population. Les mythes nourrissent les espoirs et orchestrent nos initiatives. Ce qu’il faut retenir, c’est que la Mauritanie est une réalité sociale, économique et politique. Ces réalités s’élargissent vers d’autres horizons (la liberté, la violence, la justice, la corruption, l’injustice).

 

C’est dans ce tourbillon vertigineux de l’injustice,de discrimination, d’exploitation et de racisme que les énergies invisibles de la société montrent leurs griffes et se mettent à la conquête de ses territoires perdus où la violence dicte les conditions de vie de citoyens abandonnés dans les labyrinthes  ténébreux de la misère et de la pauvreté. C’est dans ces mêmes manifestations légitimes que les « sans-pains» et les « miséreux» s’insurgent contre la répression de la police politique et la corruption pour tracer les lignes d’une nouvelle vie, un nouveau monde et une nouvelle Mauritanie.  Quant à la réforme des nos instances politiques, économiques et sociales, il est toujours nécessaire de distinguer autorité politique ( le socle du pouvoir politique ) et les différentes manifestations qui donnent corps et âme à cette même entité politique. Les deux sont liées dans le fond mais prennent des trajectoires différentes quant à la mise en place des directives politiques, économiques et sociales. L’instrumentalisation du fait religieux, l’imposition aveugle d’une nouvelle manière de penser et de se comporter socialement sont les bases de ses manifestations qui légitiment ou délégitiment l’autorité politique. Du point de vue weberien, la légitimité d’un pouvoir politique ou religieuse trouve sa cohérence dans la soumission volontaire des individus à un leader qui reflète les volontés du peuple et qui incarne le bien, le savoir et le respect des différentes perceptions du monde que ces derniers ( individus) expriment en toute liberté.

  1. KIDE Baba Gallé, De la dictature à la révolution citoyenne, RMI.Info, 2017.
  2. KIDE Baba Gallé, L’enseignement des langues africaines, RMI.Info, 2017
  3. Miguel Benasayag, Angelina Del Rey, De l’engagement dans une époque obscure, le passager clandestin,2017.

KIDE Baba Gallé

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