Edito de RMI, Vote sanction des sénateurs : les raisons de la colère

IMG_2466Vendredi 17 mars, tard dans la soirée, le sénat mauritanien a rejeté les amendements constitutionnels proposés par le gouvernement de Yahya Ould Hademeine. Une semaine auparavant, l’assemblée nationale, constituée majoritairement de députés issus du parti au pouvoir, avait approuvé le projet de réformes constitutionnelles. Les modifications de la Constitution de 1991 présentées aux parlementaires portaient sur la suppression du Sénat, le changement des symboles nationaux (drapeau et hymne) ainsi que la création des conseils régionaux.

Considéré par le gouvernement et la majorité comme étant une manœuvre aisée, le processus s’est finalement terminé en coup de théâtre. C’est le Président de la République lui-même qui est pris de haut. Quoi qu’il en soit, le rejet massif des sénateurs des amendements constitutionnels a sonné comme un coup de tonnerre dans les couloirs du palais présidentiel. Même si certains y voient déjà une des ruses du Président mauritanien afin de se donner une image de démocrate aux yeux de la communauté internationale.

On rapporte que l’entretien que le chef d’état a accordé au président du Sénat mercredi soir s’est achevé par des échanges peu amicaux. En recevant Mohcen Ould Hadj, Mohamed Ould Abdel Aziz voulait s’assurer que les sénateurs de l’Union pour la République (UPR) n’agissent pas en rangs dispersés. Il est même allé jusqu’à prévoir un diner-réception au palais présidentiel en l’honneur des sénateurs. Pourtant, avant de quitter le président, le très influent Mohcen Ould Hadj a été clair avec Mohamed Ould Abdel Aziz en lui signifiant que les honorables sénateurs n’étaient pas disposés à s’adonner à un suicide collectif en approuvant la suppression du Senat.

Les deux hommes ont passé en revue tous les différents qui existent entre  sénateurs et certains cadres du parti de l’Union pour la République. Chose à laquelle le Président de la République n’a pas voulu accorder une grande importance même si le président du Sénat a porté son propos sur les conséquences qu’une telle proposition pourrait engendrer.

Si le président de la République ignorait ce qui se tramait notamment les conciliabules et contacts extérieurs d’une poignée de sénateurs de sa majorité, Mohcen Ould Hadj était bien au fait de quelques tractations. D’ailleurs quelques signes avant coureurs révélaient les prémisses d’un divorce. Le refus de quelques sénateurs de participer à la première réunion de la commission des lois aurait tout de même dû alerter le Président de la République. Mais au lieu de s’inquiéter du vacillement de la loyauté de « ses soutiens », sa préoccupation fut portée sur un autre aspect : jauger le niveau de sécurité du pays.

Aussitôt que le président du Sénat est sorti de son bureau, il convoqua les chefs d’état-major des secteurs régaliens de la nation : la gendarmerie, la police et la garde nationale. Reflexe de survie d’un ancien  général au pouvoir ou prémonition d’un président en passe de perdre un contrôle de ses troupes parlementaires ?  Les patrons convoqués lui ont brossé le tableau de la sécurité intérieure.  Mohamed Abdel Aziz posera des questions précises : que se passerait-il si l’opposition s’allie à un groupe de parlementaires frondeurs ? Etes-vous au courant d’éventuels mécontentements dans les rangs des forces armées ? Quels contacts extérieurs certains sénateurs ont-ils pris depuis l’annonce des conclusions du dialogue national ?  Le président se doute-t-il qu’une main extérieure souhaiterait saboter le processus qui devait aboutir avec l’adoption des amendements constitutionnels au Sénat ?

L’un de ses ennemis, l’homme d’affaires et négociateur mauritanien Limame Ould Chavi (en exil au Burkina Faso), l’a exhorté à démissionner « s’il lui reste une once d’honneur ». Des sources ont aussi avancé que les sénateurs frondeurs seraient arrosés par un autre adversaire, à savoir son propre cousin Mohmed Ould Bouamatou, en exil au Maroc. L’ombre d’Ely Ould Mohamed Vall n’est pas à exclure dans cette cabale qui risque d’isoler Mohamed Ould Abdel Aziz en lui retirant toute crédibilité aux yeux des Mauritaniens.

D’autant plus que le scénario de consultation parlementaire réduisait les possibilités du Président.  En effet, le recours de l’article 38 de la constitution rend impossible le référendum. L’article  101 de la constitution stipule que : « Toutefois, le projet de révision n’est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en congrès ; dans ce cas, le projet de révision n’est approuvé que s’il réunit la majorité des trois cinquièmes (3/5) des suffrages exprimés. Le bureau du congrès est celui de l’Assemblée Nationale ». S’il est très clément et souhaite encore accorder une considération aux honorables, il lui reste la carte de l’abandon du projet des amendements constitutionnels.

Mohamed Ould Abdel Aziz a certainement dû perdre de vue que nous disposons d’une classe politico-commerciale au sein de laquelle tout se négocie avec n’importe qui, pourvu que l’enveloppe de l’adversaire soit plus conséquente que celle de  l’allié. Ce n’est pas seulement dans les casernes que l’on cultive la subalternité, même en politique, il faut savoir retenir ses troupes.  Un président incapable de réunir sa majorité sur un projet  demeure un chef d’état fragilisé. Et cela laisse un large boulevard à l’opposition radicale qui a toujours fustigé l’unilatéralisme de Mohamed Abdel Aziz. Tout comme c’est une occasion pour le forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU) de mettre sur lui plus de pressions pour la tenue d’un dialogue national exclusif  qui  normalisera la situation.

Enfin, le rejet des amendements constitutionnels par les sénateurs de la majorité est une faveur offerte à Mohamed Ould Abdel Aziz pour sortir de sa tour d’ivoire, organiser le transfert pacifique du pouvoir et incarner l’ouverture.

Ba sileye

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