Des associations culturelles demandent l’officialisation des langues nationales dans le projet d’amendement constitutionnel en cours

16797826_611624509048091_1048143114166288033_oMardi 21 février 2016, à l’ancienne maison des jeunes, se sont tenues des activités culturelles de valorisation des langues nationales. Tout le gratin nouakchottois des hommes, des femmes et des jeunes de cultures soninké, wolof et pulaar y était pour célébrer la journée internationale de la langue maternelle. Entre les expositions d’ustensiles traditionnels, d’objets d’art, de productions littéraires et d’instruments musicaux, chacun jubilait de cette magnificence culturelle  symbolique.

Les organisateurs, trois grandes associations (AMPLCS, Soninké ; APROLAWORIM, Wolof et  ARPRIM, Pulaar) fondées et reconnues par l’Etat au milieu des  années 70-80 ont demandé : «  l’officialisation des langues nationales dans le projet d’amendement de la constitution en cours ».

En effet, quelques jours avant la tenue de cette activité culturelle, une copie du plaidoyer pour l’officialisation des langues nationales a été distribuée aux partis politiques et aux chancelleries, puis remise au Président de la République. Y sont consignés quelques points à soumettre au référendum de modification de la constitution mauritanienne.

 Les signataires ont également demandé à l’Etat : « d’initier et mobiliser les voies et les ressources techniques, pédagogiques, financiers, politiques et stratégiques consécutives à la prise de décision de l’officialisation des langues nationales », tel qu’énoncé dans le document dont rmi-info s’est procuré une copie.

Le plaidoyer rappelle que les « débats durant les assises du Dialogue National Inclusif du 29 Septembre au 20 octobre 2016 ont été marqués par une large convergence de vues des participants sur l’officialisation des langues nationales qui mérite pertinemment de figurer parmi les points d’amendement de la constitution ».

Plusieurs intervenants, dont notamment des inspecteurs retraités de l’éducation nationale, ont témoigné du succès de l’expérience mauritanienne d’enseignement des langues nationales – pulaar, soninké et wolof – menée par l’Institut des Langues Nationales (ILN) de 1982 à 1999. Ainsi, cette réussite exemplaire est un atout majeur en faveur de l’officialisation.

Pourtant, l’absence de volonté politique nationale a été décriée par les spécialistes linguistiques. Selon un responsable associatif : « tous les départements ministériels concernés par la question ont été invités à prendre part à l’activité mais aucun n’a voulu nous honorer par sa présence ».  Un intervenant s’insurge : « L’effort politique pour  l’officialisation de nos langues nationales devraient prendre être une priorité par rapport  au financement et la célébration en pompe par nos autorités des festivals folkloriques sur l’unité nationale ».

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PLAIDOYER POUR L’OFFICIALISATION DES LANGUES NATIONALES :

POINTS DE CONSENSUS A SOUMETTRE AU REFERENDUM DE MODIFICATION DE LA CONSTITUTION DE LA MAURITANIE

Avant propos

La coordination des Associations Culturelles Nationales  et les forces vives et progressistes de toutes les entités organisées de la République Islamique de Mauritanie (organisations de la société civile, partis politiques, personnalités indépendantes, chefs coutumiers et religieux, etc.), toutes obédiences et sensibilités confondues, ayant assisté aux débats du « Dialogue National Inclusif » ou ayant pris connaissance de leur teneur, se sont associés pour élaborer la présente contribution à l’attention du Président de la République et du Gouvernement mauritanien, en vue de l’inscription de l’officialisation des langues nationales dans les points sujets à la modification référendaire de la constitution qui a fait l’objet d’un large consensus durant les assises dudit  dialogue.

  1. Introduction

La Mauritanie constitue un espace de rencontre entre le Maghreb arabe et l’Afrique subsaharienne et est depuis toujours une terre de brassages et d’échanges de langues et de cultures diverses. Pays musulman, multiethnique et multiculturel, elle a accédé à la souveraineté nationale le 28 Novembre 1960, et a été régie depuis lors par diverses constitutions ou chartes déterminant son régime institutionnel. Mais ce n’est qu’en 1991 que sa Constitution déclare l’adhésion du pays à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ainsi qu’aux conventions internationales auxquelles la Mauritanie a souscrit.

 

  1. Cadre institutionnel et législatif :

 

La loi n° 61.095 du 20 mai 1961, modifiant la loi du 22 mars 1959 portant Constitution de la R.I.M disposait à l’Article 3 que la langue nationale est l’arabe ; la langue officielle est le français.

La Constitution de la République islamique de Mauritanie du 20 juillet 1991 stipule en son Article 6 que les langues nationales sont l’arabe, le poular, le soninké et le wolof ; la langue officielle est l’arabe. Cette disposition a été maintenue dans le projet de loi d’amendement constitutionnel soumis à référendum du 25 juin 2006 ; puis renforcée par les dispositions de la loi constitutionnelle N° 2012-015 portant révision de la constitution du 20 juin 1991 qui disposent :  « Unis à travers l’histoire, par des valeurs morales et spirituelles partagées et aspirant à un avenir commun, le peuple mauritanien reconnait et proclame sa diversité culturelle, socle de l’unité nationale et de la cohésion sociale, et son corollaire le droit à la différence. La langue Arabe, langue officielle du pays et les autres langues nationales, le Poular, le Soninké et le Wolof constituent, chacune en elle-même, un patrimoine national commun à tous les mauritaniens que l’Etat se doit, au nom de tous, de préserver et promouvoir. »

Le Gouvernement a publié, avec l’appui du bureau du Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme de Nouakchott, les principaux instruments juridiques internationaux ratifiés relatifs aux droits de l’Homme dans une édition spéciale  du journal officiel  n°1326 bis du 09 décembre 2014. Les textes  publiés sont :

  • Le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (PICP) ;
  • Le Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels (PIESCP) ;
  • La Convention Internationale sur l’Elimination de toutes les formes de Discrimination Raciale (CERD) ;
  • La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants  (CAT) et le Protocole facultatif à la Convention contre la torture (OPCAT).
  • La Convention sur l’Elimination de toutes les formes de Discrimination à l’Egard des Femmes (CEDEF) ;
  • La Convention relative aux Droits de l’Enfant (CDE) ;
  • La Convention sur la Protection des droits de tous les Travailleurs Migrants et des Membres de leur famille (CPTM);
  • La Convention Internationale relative aux Droits des Personnes Handicapées (CIDPH) et le Protocole facultatif à la Convention  relative  aux  Droits des Personnes Handicapées (PCIDPH);
  • La Convention sur la Protection des droits des Personnes contre les Disparitions Forcées(CPPDF) ;

Cette publication vise à garantir  l’harmonisation de la législation nationale  avec ces différents instruments et assurer l’effectivité des dispositions de ces textes et leur prise en compte par les juridictions nationales.

L’Union Africaine a adopté en 2006 les statuts de l’Académie Africaine des Langues(ACALAN) a procédé au lancement des activités de  recherche et d’enseignement pour 41 langues transfrontalières sur lesquelles seront axées les études dans les 10-15 ans à venir (dont les 4 langues nationales mauritaniennes). Le démarrage des 12 premières commissions de langues transfrontalières véhiculaires dont celle du Poular, est déjà effectif.

L’Article 7 de la Convention Internationale sur l’Elimination de toutes les formes de Discrimination Raciale (CERD) ratifiée par la Mauritanie le 13 décembre 1988 stipule : « Les Etats parties s’engagent à prendre des mesures immédiates et efficaces, notamment dans les domaines de l’enseignement, de l’éducation, de la culture et de l’information, pour lutter contre les préjugés conduisant à la discrimination raciale et favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre nations et groupes raciaux ou ethniques, ainsi que pour promouvoir les buts et les principes de la Charte des Nations Unies, de la Déclaration universelle des droits de l’homme, de la Déclaration des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et de la présente Convention. »

La visite du rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, Doudou Diène du 20 au 24 janvier 2008 et celle de son successeur, Mutuma Ruteere du 02 au 08 septembre 2013, à l’invitation du gouvernement mauritanien, se sont conclues par la même recommandation. Partant du constat que « les politiques linguistiques [ont] contribué à polariser les différentes communautés », les rapporteurs demandent que : « à côté de la langue arabe, le statut constitutionnel de langue officielle soit également conféré  au poular , au soninké et au wolof (A/HRC/11/36/Add.2). »

  • Situation de la promotion des langues nationales

Depuis l’indépendance la Mauritanie connait des tensions intercommunautaires frontales et/ou sous jacentes, provoquant d’une manière cyclique des violations graves des droits humains (individuelles et collectives).Ces situations sont causées par des politiques inappropriées de gestion de la vie nationale conjuguées à la  défaillance de la  justice qui aggrave les inégalités.

 

Toujours la question culturelle a été au centre de la problématique.

Les différentes réformes de l’éducation, engagées en 1959,1967, 1973, 1979,1984 et 1999, n’ont pas pu juguler le mal qui ronge la société mauritanienne, parce qu’elles sont fondamentalement politiques et/ou  idéologiques, et élaborées sous la pression de situations de crise. Elles n’ont jamais été objectivement évaluées. Hormis celle de 1979 qui a consacré la création de l’Institut des Langues Nationales, ces réformes n’ont jamais reflété le caractère multiculturel du pays, elles n’ont pas répondu aux exigences d’indépendance, de développement et de démocratie, encore moins aux aspirations des populations dans leur ensemble.

Ces réformes ont entre autres conséquences, une marginalisation prononcée des enfants dont l’arabe n’est pas la langue maternelle, une discrimination permanente dans les examens et concours qui maintient des pans entiers d’enfants négro-mauritaniens dans des emplois subalternes du fait de l’hégémonie de l’arabe  dans le système éducatif.

La mission de l’Institut des Langues  Nationales a  été arrêtée en 1999 à la suite de la dernière Réforme du système éducatif mauritanien par la loi 99 012 du 26 Avril 1999 et l’enseignement des langues nationales a été confiné au rang de spécialité au niveau de l’Université de Nouakchott.

 Les performances de l’enseignement des langues nationales, véhicules  des patrimoines culturels, outils de développement socio-économique, facteurs de cohésion nationale et sociale, mécanismes de  respect de la diversité et de promotion de la paix, ont pourtant été attestées dans tous les secteurs de la vie nationale et par toutes les institutions de coopération internationale, notamment du BREDA/UNESCO.

La dynamique de l’enseignement des langues nationales engagée  par l’Union Africaine, marquée par la création de l’Académie Africaine des Langues(ACALAN), s’est poursuivie dans les réformes de l’éducation  dans beaucoup de pays de notre continent, qui ont créé des départements ministériels chargés de la promotion  des langues nationales comme outils de travail, de développement  et d’acquisition des connaissances.

Ainsi, dans notre sous-région du Maghreb, le roi Mohamed VI du Maroc, dans son discours du 9 mars 2011, annonçait la création d’une commission consultative de réforme de la Constitution, promulguée par le dahir no 1-11-91 du 30 juillet 2011, qui stipule que  «L’arabe demeure la langue officielle de l’État. L’État œuvre à la protection et au développement de la langue arabe, ainsi qu’à la promotion de son utilisation. De même, l’amazighe constitue une langue officielle de l’État, en tant que patrimoine commun à tous les Marocains sans exception». De même en Algérie, par la loi n° 16-01 du 6 mars 2016 – Journal officiel n° 14 du 7 mars 2016 restitue au  Tamazight le statut de  langue nationale et officielle. La nouvelle constitution algérienne proclame : « L’Etat œuvre à sa promotion et à son développement dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le territoire national. Il est créé une Académie algérienne de la Langue Amazighe, placée auprès du Président de la République.

Le principe édicté par le système des Nations Unies du développement basé sur les droits humains se fonde sur l’apprentissage des langues nationales pour une implication et une participation effective des populations à la base dans les stratégies et politiques de développement. La lutte contre l’extrême pauvreté passe par la formation, notamment l’alphabétisation fonctionnelle, des forces vives à la base, pour la maitrise des outils techniques, politiques et stratégiques des enjeux de développement.

L’utilisation de ces langues nationales dans les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC), notamment du Wolof par Microsoft (OS Windows – Microsoft Office), le moteur de recherche  Google et le navigateur Firefox de Mozilla, du Poular par le navigateur Firefox de Mozilla et par Facebook, entre autres, atteste incontestablement de leur capacité à être des langues de technologie et des sciences.

La Mauritanie a connu une évolution positive dans la ratification et  l’adoption des instruments  juridiques internationaux et leur publication dans le JO afin d’être opposable devant les juridictions nationales au profit des justiciables. Mais bien que la hiérarchie des actes donne la primauté aux conventions et traités internationaux, force est de constater que ces avancées ne peuvent  se concrétiser sur le terrain, sans des actions fortes de changement des mentalités et l’engagement ferme des politiques visant à l’harmonisation de la législation nationale avec les normes internationales.

Les débats durant les assises du  Dialogue National Inclusif du 29 Septembre au 20 octobre 2016 ont été marqués par une large convergence de vues des participants sur l’officialisation des langues nationales qui mérite pertinemment de figurer parmi les points d’amendement de la constitution. En outre ,il est à noter que le succès de l’expérience mauritanienne d’enseignement des langues nationales pulaar, soninke et wolof – menée par l’Institut des Langues Nationales (ILN) de 1982 à 1999 plaide en faveur de cette officialisation. Voir en Annexe le bilan de cette expérience.

Conclusion :

Partant de la place de la langue comme véhicule  de la culture, facteur de  respect  de la diversité et mécanisme de la stabilisation sociale et de la promotion de la paix, outil d’apprentissage et d’acquisition des connaissances, la Mauritanie se doit pour se conformer à ses engagements internationaux de satisfaire la demande de franges majoritaires de la population de :

  • Inscrire l’officialisation des langues nationales dans le projet d’amendement de la constitution en cours ;
  • D’initier et mobiliser les voies et les ressources techniques, pédagogiques, financiers, politiques et stratégiques consécutives à la prise de décision de l’officialisation des langues nationales.
 

Association pour la Promotion de la Langue Wolof

en République Islamique de Mauritanie

(APROLAWORIM),

Arrêté N° 1483/MINT/DAP du 02 Décembre 1980

Association pour la Renaissance du Pulaar en

République Islamique de Mauritanie (ARPRIM),

     Récépissé N° 000542/MINT/SAD du 04 Juin 1976

Association Mauritanienne pour la Promotion de la Langue

et de la Culture Soninké

(AMPLCS),

 Arrêté N° 009/MINT du 03 Mars 1978

 

 

 

 

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